vendredi 20 mai 2016

Festival guerrier

Difficile de lire aujourd'hui la Batrachomyomachie sans regarder dehors, là où ça chauffe. Longtemps attribué à Homère, ce texte parodique a traversé les siècles – plus d'une vingtaine, à la louche – et ne semble pas prêt de désarmer. Prisé de Leopardi, qui l'a traduit en italien, et de Leconte de Lisle, qui en fit une version française, cette "bataille des grenouilles et des rats", longue de trois cents et quelques hexamètres dactyliques, emprunte à Esope tout en rejouant la fureur de l'Iliade. Une nouvelle traduction nous est proposée aujourd'hui par les éditions Hélice Hélas, signée Bertrand Schmid, qui s'est visiblement bien amusé et a fait assaut d'inventivité lexicale et vernaculaire pour restituer à ce texte sa truculence — n'hésitant pas à chaparder Tolkien, histoire de "changer d'inclinaison". 

L'histoire est simple comme la guerre. Une grenouille aide un rat à traverser un étang, mais en cours de patauge un accident survient, le rat choie, se noie; la nation des rats s'offusque, déclare la guerre, s'arme "de patte en cap" — les grenouilles, elles, s'arment de "cap en nageoire". Echarpage garanti.:
"A la vue de Sculptegraillon, Ciboule prit peur, s'enfuit au plus fort et s'élança dans l'étang, débarrassé de son bouclier. Puis le vaillant Courmarmite tua Embuée d'un coup de pierre au front; son cerveau coula de ses narines et de sang s'engraissa le guéret."
Pendant ce temps, à Olympe-City, les dieux devisent en se tripotant pour ainsi dire le 49-3. Ils finiront par intervenir en envoyant des créatures très particulières, semblables à celles qui, chaque jour ou presque ces temps-ci, cognent tout ce qui cherche à rester debout :
"Dos de mailles, pinces tordues, démarche latérale, bigleuses, bouches coupantes, peau de pierre, osseuses, râblées, épaules luisantes, pieds évasés, tendons en guise de mains, vision pectorale, huit pattes, deux cornes, infatigables…"
Et l'auteur de conclure:
"Le soleil plongeait déjà."
Comme on le voit, la technique de "ratissage" ne date pas du dernier déluge. La Batrachomyomachie n'est peut-être pas appelée à devenir le petit livre orange de demain, mais sa lecture réjouissante devrait nous aider à sourire un peu avant de retourner au charbon des rues.

__________
La Batrachomyomachie, traduction nouvelle de Bertrand Schmid, illustrations de Victoria Suppan, Hélice Hélas Editeur, 8 €

1 commentaire:

  1. Bonjour, je viens de tomber sur votre article et il est génial. Je sui actuellement en prépa littéraire et j'approfondis l'exemple de la Batrachomyomachie qu'on a à peine survolé, je ne suis pas sure de pouvoir mettre votre analyse moderne dans ma copie de dissertation mais cela donne une assez bonne image de ce qu'est ce roman! Merci et bonne continuation :)

    RépondreSupprimer