mardi 7 avril 2015

Celle que nul n'élude: Hervy en formes

Ne nous leurrons pas. L'aphorisme recèle bien autre chose que des profondeurs. C'est avant tout une opération syntaxique. Une aventure dans la sentence qui se doit d'éviter le sentencieux. Une petite torsion dans l'articulation, l'air de rien. Mais quand même, si possible: faire mouche à chaque fois. L'aphorisme ressemble parfois à une flèche décochée. Il lui arrive pourtant d'être cible ou arc. Son principe premier est la variation, car bien que moléculaire, il ne s'avance que rarement seul, et parade au milieu d'une armée dont les accoutrements et la démarche se doivent de faire diversion. Prenez le recueil d'Olivier Hervy, intitulé très judicieusement Formulaire. Qu'y fait l'aphorisme?
Il peut prendre une allure didactique pour mieux distiller son ironie :
"Les hôtesses de l'air doivent mesurer plus d'un mètre soixante-dix pour se trouver mal assises avec leurs grandes jambes et préférer rester debout à servir les passagers du vol."
Célébrer les noces de la logique et de l'absurde:
"Curieusement le plat du jour n'est pas le même partout."
Sortir son pinceau:
"La patte de l'oiseau trace un arbre sur le sol humide."
Faire le potache:
"'Deux Grim!', lance le serveur au barman pour honorer une commande de Grimbergen. On se corirait dans une librairie."
Se prélasser dans le péremptoire:
"Le strapontin ne fait pas d'heures supplémentaires."
S'exclamer comme après réflexion :
"Et encore, la tronçonneuse est bout rond!"
Redéfinir le définitif de la définition:
"Le harpon est une lance têtue."
Bref, l'aphorisme a fort à faire, car il a devant lui un lecteur qui n'a aucune raison ni chance de former un collier à partir de ces perles mais qu'il faut néanmoins retenir dans ses rets. D'où ces variations permanentes, qui doivent panacher sans cesse l'humour, l'ingénuité, le profond, l'énigmatique, etc. En fait, l'aphorisme est comme une phrase pipée. Il retombe sur la face qu'il veut, pas celle qu'on voit. Et il n'est jamais aussi délicieux que lorsqu'il agit à la façon d'un ressort, et nous fascine avant de nous parler. Lorsqu'il déballe sa sagesse tel un foulard qu'on a cru à tort inerte. Exemple:
"Le sage n'épouse pas la veuve du charmeur de serpents."
On acquiesce avant de comprendre. Déjà mordu.

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Olivier Hervy, Formulaire, éd. Pierre Mainard, 11 €

4 commentaires:

  1. Merci Claro pour cet article qui me fait très plaisir ! Amitiés. Olivier Hervy.

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  2. En France, en matière d'aphorismes, la concurrence est rude. Mais si tous ceux d'Olivier Hervy sont aussi bons que les cités, on est face à du "lourd" (comme disent les jeunes), ce qui est un comble pour un aphoriste.

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  3. Contente de lire votre critique car je reçois Olivier Hervy dimanche 12 avril à Mézin avec mon association (Des Livres et Nous) en compagnie de son éditeur... et nous lirons des extraits de "Formulaires" ! Si vos oreilles sifflent dimanche matin, à l'heure de la messe, c'est que je vous aurais cité...

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  4. Et du même le très chouette Agacement mécanique : http://hublots2.blogspot.fr/2014/06/quelques-agacements-mecaniques.html

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