mardi 4 novembre 2014

Babel cantos (1)

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 Les éditions Le Bruit du temps, qui à chaque titre deviennent de plus en plus indispensables, créent leur propre format de poche, fidèle dans sa conception/confection au grand format.

Si vous avez hésité au moment de la parution des Œuvres complètes d’Isaac Babel en 2011, alors c’est peut-être le moment de pénétrer dans Babel-land par ce petit volume intitulé Histoire de mon pigeonnier.


  
Isaac Babel, au regard mobile et scrutatif, et dont Canetti disait, ainsi que nous le rappelle Claude Mouchard dans sa belle préface :
« Il donnait […] l’impression, tel qu’il était à ce moment, de devoir être là pour toujours, comme s’il se fût placé devant un abîme connu de lui seul et dont il interdisait l’accès aux autres. »
Isaac Babel, fusillé en 40 sur ordre de Staline.

Isaac Babel, admirateur de Maupassant et de Flaubert. 

Isaac Babel, qui sait dire « je » pour mieux se retrancher.

Isaac Babel, dont l’écriture fluide nous tend soudain des nœuds qui nous étranglent d’émotion.

Ce recueil, consacré à l’enfance, répond à un projet conçu par Babel lui-même, qui souhaita rassembler des textes divers que reliaient néanmoins des souvenirs et impressions anciennes. Traduit par Sophie Benech – c’est à elle qu'on doit la traduction des Œuvres complètes en 2011 au Bruit du temps –, Histoire de mon pigeonnier débute par une nouvelle éponyme dont la seule lecture fera de vous des babelophiles convaincus, acharnés et définitifs. D’emblée, le narrateur exprime un désir :
« Dans mon enfance, j’avais très envie de posséder un pigeonnier. Je n’ai jamais rien désiré aussi fort de toute ma vie. »
Comme souvent chez Babel, la première phrase est une flèche, qui donne la vibration, indique la célérité, même si bien sûr la cible se déplace au gré des pages — un des narrateurs de Babel dit d’ailleurs à un moment : « Une cible s’est allumée dans mon dos. » Dans Premier amour, voici la flèche : « A l’âge de dix ans, j’ai aimé une femme qui s’appelait Galina Apollonovna. » La nouvelle Un sous-sol débute ainsi : « J’étais un petit garçon menteur. » Une autre, intitulé Mes premiers honoraires, nous happe ainsi : « Vivre à Tiflis au printemps, avoir vingt ans et ne pas être aimé, c’est un malheur. »

Mais revenons à nos pigeons. Le narrateur rêve donc d’en avoir, et son père les lui promet sous réserve de décrocher des notes brillantes à l’école. Nous sommes en 1904, et le quota de Juifs dans le lycée de cette région d’Odessa est de 5%. Autant dire que l’enfant va devoir mettre les bouchées doubles. Scène extraordinaire: interrogé sur Pierre le Grand, l’enfant se met à quasiment hurler des vers de Pouchkine. Scène épouvantable: ayant enfin acquis ses pigeons, l’enfant tombe sur l’immonde Marenko, et voilà qu’éclate le pogrom. J’aimerais pouvoir citer l’intégralité de la page 54, mais allez en librairie, prenez ce livre, cherchez cette page 54 et lisez à voix basse :
« Ce monde était petit et affreux. J’avais un caillou devant les yeux, un caillou ébréché comme le visage d’une vieille femme avec une grande mâchoire […]. »
Dans sa préface, Claude Mouchard parle du « miracle Babel » et de la « fluidité sensuelle » sensible dans son écriture. Une fois de plus, grâce à Sophie Benech (et à Antoine Jaccottet, éditeur du Bruit du temps), le miracle Babel a lieu. Et tout le reste paraît dérisoire.

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Isaac Babel, Histoire de mon pigeonnier, traduction du russe, avant-propos et notices par Sophie Benech ; préface de Claude Mouchard, éd. Le Bruit du Temps, 164 pages, 7 €

1 commentaire:

  1. Avec vos conseils avisés cher Claro, je vais me précipiter jusqu'à ma librairie indé la plus proche et en ferai la lecture lors de mes nuits sans sommeil. Merci

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