mardi 11 novembre 2014

Au programme près : Annocque aux manettes


Dans Vie des hauts plateaux, le nouveau « roman » de Philippe Annocque (auteur de Liquide et Rien), le narrateur n’en finit pas de mourir et de prendre femme, d’être importuné et d’importuner, d’expulser et d’enfanter – bref, c’est un narrateur qui a d’autres chats à fouetter que la fiction, même si, de toute évidence, son existence quotidienne est mouvementée. Bienvenue, donc, dans un univers à géométrie non seulement variable mais fantasque, où tout est possible et improbable, où le statut ontologique de l’être s’est fait mordre par un drôle d’insecte, un fatal « bug ».
Oui, dans Vie des hauts plateaux, tout le monde bogue, le temps et l’espace aussi, même la pensée, et les gestes, mais c’est normal, c’est inévitable puisque le démiurge qui préside aux mouvements browniens des individus a une case en moins, ou en trop.
Le lecteur sent que quelque chose cloche. Il a l’impression d’être au sein d’une slapstick comedy, peuplé de charlots et de keatons, difficile de se raccrocher à quoi que ce soit, car la notion de permanence s’est fait la malle :
« Pour devenir quelqu’un d’autre, il faut d’abord que tu te rendes chez cette personne. Mais pour pouvoir sortir de chez toi, il faut que tu embrasses quelqu’un. (Enfin, il paraît qu’il y a d’autres moyens, mais celui-ci est le plus efficace et le plus fréquemment employé.) »
Du coup, on rit beaucoup en suivant ces vies : des hauts et des bas, des pirouettes, une gestion de l’absurde aussi rigoureuse qu’étourdie. C’est un peu comme dans les livres de Ben Marcus : on ignore quelles lois président aux mouvements et aux décisions, mais chacun se débrouille, il faut tester le réel, pas d’autres moyens, et tant pis si on frôle le drame neuf fois sur dix, ce n’est pas grave, les gens ne sont pas graves, la vie n’est pas grave, seule compte la persévérance, qui n’est pas si diabolique que ça.
Mais qui sont et d’où viennent ces personnes dont les vies semblent tantôt bloquées, tantôt interchangeables, qui progressent par disjonctions, trop humaines finalement dans leurs inconséquences et cependant profondément fantoches ? Le lecteur finira par trouver le secret de ces vies imaginaires – ou pas. Nous sommes en littérature, où les modes d’emploi, s’ils sont opérants, peuvent être ignorés. La lecture est une aventure, pas une enquête. Chargez donc la vie des hauts plateaux et vous verrez que simuler la vie est aussi amusant qu’inquiétant. 
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Philippe Annocque, Vie des hauts plateaux (fiction assistée), éd. Louise Bottu, 15 €

2 commentaires:

  1. Je me suis régalée avec La Vie des hauts-plateaux et beaucoup amusée. Les chapitres en regard les uns des autres, les uns très courts, les autres plus longs, donnent au lecteur (enfin à moi) l'impression de faire sans cesse des bonds....

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  2. J'y suis entré à petits pas, osant un oeil délicat me demandant quel était ce monde, ce no man's land pareil à ce haut plateau de la Torugart pass (entre le Kirghizistan et la Chine), attendant patiemment qu'un guide (obligatoire) arrive et me permette de franchir la frontière entre le réel que j'allais quitter et l'inconnu que j'imaginais ubuesque. Ce sont vos femmes et vos enfants d'abord qui m'ont pris par la main; vos mots ensuite, abracadabrantesques, qui m'ont incité à plonger. Je me suis trouvé nageant avec bonheur, dans l'océan de votre monde, plus heureux encore que l'oncle Pic'sou dans sa minable piscine de billets: les rêves sont différents. Merci donc.

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