vendredi 29 novembre 2013

Quand Oates chantait à coups de hache

En ce moment, et jusqu'au 6 décembre 2013, on peut aller au théâtre Jean-Vilar, à à Louvain-la-Neuve, au cœur du Brabant wallon (Belgique) pour assister au Triomphe du singe araignée, adaptation théâtrale du roman éponye de Joyce Carol Oates, que j'avais traduit en 2010 pour les Allusifs, alors dirigés par Brigitte Bouchard (on le trouve actuellement dans la collections Points/Seuil, en principe). La mise en scène et l'adaptation scénique sont signées Marie-Line Lefebvre, et c'est le comédien Alexis Goslain qui porte le texte sur ses épaules. N'ayant pas vu la pièce, je me contenterai de vous parler du roman…

Le texte de Oates est paru quant à lui en 1976 et reste sans doute l'un des textes les plus atypiques de la romancière (c'est juste une intuition, car il va sans dire que je n'ai pas lu tous ses livres, et la chair est loin d'être triste, qu'on se rassure). Un texte très seventies, derrière lequel plane l'ombre de Charles Manson, où le cinéma joue un rôle effrayant, où le devenir-animal (et le thème de l'enfant sauvage) travaille la phrase de Oates en un long monologue tout en sarcasmes et fureurs, et qui raconte la geste sanglante d'un dénommé Bobbie Gotteson (God's son?), serial killer maniant la hache et la dialectique, devenu coqueluche du public, poète-boucher aux mille cavales. Peut-on être monstrueux et américain? A grand renfort azimuthé de collages, de lambeaux de poème, de  rapports de procès, de fausses confessions et de délires chorégraphiés, Joyce Carol Oates fait dans ce court livre une ahurissante expérience de free-jazz mental. Singe ou araignée? Agité ou patient? Hop, extrait déchiré :

"je dormais dans le cocon
étiré au point d'occuper la taille exact du cocon
un mètre soixante et onze
je dormais là parfaitement heureux
quand l'alarme sonna
mes frères adoptifs sont accourus dans la chambre
mon père adoptif m'a empoigné par les chevilles
je lui ai crié de ne pas me tirer ainsi à l'envers
mais il a ri et dit C'est l'heure de se lever!
ils ont tous ri et m'ont traîné à l'envers
hors du cocon
et quand vous êtes ainsi tiré en arrière
l'intérieur du cocon se change en rasoirs
même vos yeux s'enfoncent dans votre crâne
et quand votre tête est dégagée
votre cerveau suffoque
mais vous vous habillez quand même
et vous allez quand même à l'école"




1 commentaire:

  1. Bon, je n'ai pas encore eu le plaisir de lire Le Triomphe du singe araignée, mais d'après ce court extrait je m'aperçois que je dois avoir, à mon insu, pas mal de gènes de la bestiole en question ! A suivre...

    RépondreSupprimer