mardi 18 juin 2013

Rendre à Nadeau

C'est Pierre Maury qui, sur son blog Journal d'un lecteur, se permet, à l'heure des mélopées, de rappeler que non, Maurice Nadeau n'a pas découvert Beckett comme on a pu le lire dans une certaine dépêche officielle. Et Maury de citer, exemples à l'appui, le témoignage de Nadeau lui-même narrant ce rendez-vous manqué. Quand meurent les grands hommes, il est bon de ne pas les étouffer de lauriers, surtout si certains sont immérités. D'autant plus que rater Beckett n'est pas une tare. Il enverrait ses manuscrits aujourd'hui que nous serions sans doute plus d'un à renâcler. On veut bien attendre Godot mais pas forcément inviter l'innommable…
C'est tout le problème des hommages et du ragot médiatico-mortuaire. On veut célébrer, on pare. On croit encenser, on en rajoute. Les saints ne pullulent pas, surtout pas dans l'édition. Nadeau lui-même reconnaissait ce qu'on ne saurait, intellectuellement, qualifier d'erreur:
"Beckett. Je l’ai raté, c’est Lindon qui l’a publié. Tu vois, nous avions quelque chose de commun. Beckett, c’était son épouse qui promenait à travers Paris ses manuscrits dont personne ne voulait! Elle m’a donné à lire deux ou trois pages, de je ne sais plus quel roman qui a été publié plus tard. Je n’ai pas pris position parce que je ne savais pas, au fond, de quoi il s’agissait."
Car c'est là sans doute que réside la grandeur de Nadeau. Dans sa faillibilité qui fait de lui autre chose qu'un pape et mieux qu'un apôtre: un homme aux aguets. "'Ne pas prendre position", parce qu'on ne sait "pas, au fond, de quoi il [s'agit]." Quelle plus belle, plus émouvante preuve de clairvoyance? Un éditeur averti n'est ni un scanner ni un radar, encore moins une passoire. Il peut caler, achopper, manquer. Sa passion peut prendre le risque de la presbytie comme de la cécité. Il se distingue par ses intuitions autant que par ses hésitations. Merci donc à Pierre Maury, quand sonne le glas, d'avoir remis les pendules à l'heure juste, et d'honorer ainsi, clairement et fortement, cette mémoire de Nadeau qui nous est commune et n'a pas besoin de colombes de plâtre pour s'envoler.

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