jeudi 20 juin 2013

Phoebus K. Dank, sa vie, son nœuvre

On vous en recausera, mais en mars 2014, la collection "Lot 49" publiera le dernier roman de Christopher Miller, l'auteur de Variations en fou majeur (Seuil, 2004). Dans L'Univers de carton, Miller a imaginé un écrivain obèse et pathétique (Phoebus K. Dank), double distordu et raté de Philip K. Dick, prolixe et complexé, qui, après sa mort (suspecte) se voit consacré un "guide" écrit par deux spécialistes de son œuvre, l'un l'adulant aveuglément (et l'ayant suivi tel un toutou frustré), l'autre le méprisant copieusement (mais ayant été nonobstant son ami et colocataire). Le livre se présente donc comme un dictionnaire déraisonné de la vie et l'œuvre de Dank, chaque entrée abordant, par ordre alphabétique, une œuvre, une facette, un moment éminemment dankien, les deux "critiques" se tirant dans les pattes régulièrement, dans le texte ou via des notes assassines.
Dank est sûrement le personnage le plus "flaubertien" à surgir dans la littérature américaine, il est une sorte d'Homais incompressible, et ses deux zélateurs un über-Bouvard et un crypto-Pécuchet proprement sidérants. Son appétit d'écrire fait de lui un inénarrable ogre d'encre d'une bêtise subtilement insondable. Pour preuve, sa première œuvre dans le domaine de la science-fiction, qu'il se croit obligé d'écrire… au temps du futur !
(C'est la première fois que je traduis un livre en riant. J'ai même été obligé de procéder à des rechercher-remplacer pour virer tous les "ahahahah grgrll ohoh ahha" que mes doigts hilares avaient intercalés tous les huit mots. C'est aussi la première fois que je m'autorise des notes en bas de page, mais il va de soi qu'elles sont, contexte oblige, un peu particulières, la mauvaise foi des deux spécialistes de l'œuvre de Dank s'étant révélée prodigieusement contagieuse… Pendant plusieurs mois, ma femme a dû supporter de m'entendre pouffer bêtement comme si j'avais, planquée dans mes tiroirs, une bonbonne de gaz d'hélium mystérieusement reliée à mon cerveau. Merci, Monsieur Miller.)
Moquant le registre académique, la convolutée syntaxe exégétique, tirant à boulets rouges sur les âneries imaginaires liées aux entreprises anticipatoires (tout en rendant un hommage ambigu à l'imagination sans limite de ce genre), reprenant ainsi le flambeau nabokovien tel qu'il brilla à l'heure de Feu pâle, fouillant sans vergogne les entrailles du génie méconnu, et brossant à contre-jour un faramineux portrait de Dick, Christopher Miller a réussi avec L'univers de carton là un de ces livres "hénaurmes" qu'on passe sont temps à racheter pour l'offrir aux gens qu'on aime. Hop, extrait:
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"Ses voisins le savaient enclins à des actes d’une bêtise phénoménale. Entre autres inepties, il construisit une machine à remonter le temps et se persuada qu’elle fonctionnait, se fit arrêter pour avoir uriné sur la voie publique et, quatre ans plus tard, pour défécation en public, décida qu’il était un robot et demanda à la police de l’arrêter à nouveau, se persuada que son voisin dirigeait sur lui un rayon mortel et se mit à porter un costume en papier alu tout en travaillant dans son jardin, monta un groupe éphémère de punk-rock du nom d’Idle Threat, fut interrogé au sujet du meurtre d’un critique, portait sa montre à la cheville (« pour soulager mon poignet »), régla son réfrigérateur pour que la petite lumière reste allumée quand la porte était fermée, fit venir le véto chez lui en pleine nuit parce qu’il avait donné à manger à son chat de la nourriture pour chien (qui pour ce qu’il en savait aurait pu se révéler fatale à un chat), fit exploser une noix de coco dans son four à micro-ondes, prit tellement de vitamines que sa langue vira au noir, et tondit sa pelouse tous les jours pendant un mois et demi avec son motoculteur flambant neuf jusqu’à ce qu’une association de voisins l’oblige à arrêter. Mais même ses voisins ne semblaient pas accorder à Dank la moindre vie intérieure digne de ce nom, encore moins reconnaître l’existence d’un génie parmi eux."

4 commentaires:

  1. ligne 6, se voit "consacrer" merci de corriger, eum m'sieur l'correcteur !
    Bon, c'est la premiere fois que je croise des doigts hilares, et ca, ca fait du bien.
    Zut, encore une faute, pardon, une coquille veux-je dire, ses voisins le savaient enclins ?? Enleve le s steplait, ca fait mal au coeur, un si bel extrait !!
    Pour etre franche, c'est de l'ironie, la prose du monsieur ne me transporte pas de joie ni ne me provoque quelque hilarite que ce soit, j'espere que le passage n'est pas representatif et que ce Dank est plus drole ailleurs.
    Sorry pour les accents qui n'y sont pas, mon clavier l'en n'a pas.
    PS: merci encore pour les doigts hilares, tres chouette.

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  2. He, qu'on passe "sont" a temps a racheter, merdre, a quoi tu penses ?? Et ca a fait l'correcteur a Saint-Michel, non mais j'te jure...Enfin, c'est loin tout ca, et pi sul blog, c'est facile a corriger. D'autant qu't'as l'temps, avant 2014 !!

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  3. C'est vrai que c'est un roman excellent, mais vraiment autre.
    Vous avez dû en baver!
    http://www.unwalkers.com/lunivers-de-carton-de-christopher-miller-au-cherche-midi-collection-lot-49/
    Christian

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  4. Un avis personnel pour un partage de lecture...
    http://vivrelivreoumourir.over-blog.com/2014/11/christopher-miller-univers-de-carton.html

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