vendredi 28 septembre 2012

Sous le soleil de Manosque

Du 26 au 30 septembre ont lieu, à Manosque, "Les Correspondances". On le sait, il ne s'agit pas d'une manifestation à la gloire de la passion épistolaire pas plus que d'un grand raout organisé par les Postes (ni d'un long colloque autour du poème de Baudelaire), même s'il y est question de lettres, même si la Fondation la Poste y apporte son substantiel écot, même si on pourra y entendre de longs échos qui de loin se confondent. Cette année, une fois de plus, la manifestation littéraire accueille une tripotée d'auteurs et organise lectures, concerts et rencontres. Ça a commencé mercredi avec une déambulation littéraire de Frédéric Forte et un concert des Têtes Raides scandant du Genet et du Vian. Jeudi, le niortais Enard s'est entretenu avec le colombien Juan Gabriel Vasquez et le grand Marcon a honoré Rimbaud comme il se doit, tandis que Dominique A., pierre de touche des Correspondances, a donné une lecture musicale. Comment s'en plaindre?
Nous sommes vendredi, si l'on en croit le calendrier (des Postes!) et on a hâte d'aller écouter François Bon et Pascal Dibie nous parler de ce qui tient dans la main et ne fond pas dans la tête (objets + portes à 16h30). Il y a aussi Joy Sorman à la même heure (on va donc se couper en deux, mais comme c'est pour entendre parler boucherie et abattoir, ça fait sens), Emmanuelle Pireyre avec un one-woman féérie à 17h, et Manuel "Autour" Candré à 18h… (et re-Dominique A à 22h30).
Le samedi, je serai présent pour les Apéros littéraires du comité de lecture, à 11h du matin (on met son réveil, hein) en compagnie de Joy Sorman. Puis je m'entretiendrai à 15h, place de l'Hôtel-d'Herbès avec Arno Bertina sous la houlette de Yann Nicol, on causera donc LSD et balle jaune. Vous pouvez également m'écouter lire un extrait de mon livre sur le site de Télérama – ne réglez pas votre poste, c'est normal si c'est frituré et cascadé… Le soir, comment ne pas aller s'étendre dans Le Cantique des Cantiques et savourer un Hommage à Mahmoud Darwich avec Rodolphe Burger au chant et à la guitare? C'est à 21h, dans la Grande salle du théâtre Jean-le-Bleu.
Dimanche, à 11h, une évidence: Olivier Cadiot dans la petite salle du même théâtre pour une lecture rencontre. A 15h, le docteur Deville causera maladies graves place de l'Hôtel de Ville et on s'en réjouit. Et à 18h30, pour ceux qui seront restés jusqu'au bout, allez voir le film de Laurent Cantet, Foxfire (adapté d'un roman de Joyce Carol Oates), en présence du réalisateur et des productrices du film, les délicieuses Carole Scotta et Caroline Benjo (Haut et Court) auxquelles mon roman Tous les diamants du ciel est dédié, si vous voulez tout savoir.
Bon, il y a des tonnes d'autres choses à voir et lire. Le programme est . Vous êtes grands, vous saurez vous débrouiller. Sinon, le timbre vert coûte 0,57 centimes d'euro et permet d'envoyer jusqu'à 20 grammes de marchandise licite. Et, oui, Jean Giono a bien habité à Manosque : au 1, rue Torte, où il est né le 30 mars 1895 ; au 14, rue Grande, où ses parents ont déménagé peu de temps après ; au 8, rue Grande, où il s'est installé en 1930, après son mariage. On ne vous avait  donc pas menti au sujet du hussard immobile qui voyage sur les toits. On déplorera en revanche qu'on ne nous parle jamais de cet autre Manosquin, Elémir Bourges, l'immortel auteur de Les oiseaux s'envolent et les fleurs tombent. Ou pas.

jeudi 27 septembre 2012

Résidence in extremis: Pessan et l'enfantôme

Si le mot culte redrum se lit à l'envers, Ôter les masques d'Eric Pessan peut se lire dans le désordre, ou plutôt selon des modes d'excursion divers, étant composé de plusieurs strates, puisqu'il s'agit pour l'auteur de déplier une lecture, celle de  Shining de Stephen King, livre à l'origine de son désir d'écrire. Il y est questions d'enfances et de fantômes, ces deux coordonnées à partir desquelles tracer la courbe hagarde de l'écriture. C'est donc un roman à la fois de formation et de déformation. Déformation de l'objet, ou comment le spectre d'un livre de chevet se fracture en souvenirs et apparitions. Formation, car il s'agit ici d'inscrire un parcours de lectures dans la réalisation d'une volonté, celle d'écrire. Pessan, comme pas mal d'adolescents, a trempé ses yeux dans le fleuve de la SF, du fantastique, il a commencé par lire Simak, Lovecraft avant d'attaquer Claude Simon et Melville. Grand saut? Rupture? Il en doute aujourd'hui, tant il sait – et a compris – qu'au tréfonds ce ces imaginaires parallèles bruissait une conception de la vision, une approche du réel.
Même quand il est question du roman de King, l'auteur nous parle d'autre chose. Et son analyse du personnage de Shining, Jack Torrance, est un puissant sésame, car Torrance est ici le prototype de l'écrivain confronté à l'échec, ne le supportant pas, et intégrant le clan de la folie plutôt que de puiser dans l'échec même la force d'écrire, devenant par là-même ce que Pessan nomme avec justesse "l'artiste de l''échec". "Ecrire", nous dit encore Pessan, "c'est se confronter à la possibilité de l'échec. C'est affronter l'impuissance." Et de citer cette magnifique phrase de Beckett: "Etre artiste, c'est échouer comme nul n'ose échouer" (Trois dialogues, Minuit, 1998). C'est sans doute cette intuition qui touche le plus dans Ôter les masques. La confrontation du fantasme d'enfance (devenir écrivain, célèbre, King, etc.) avec la réalité du travail (avoir du temps pour écrire mais ne pas y arriver, ne pas trouver d'éditeur, ne pas avoir beaucoup de lecteurs, craindre de radoter), Pessan la dit et l'explique sans amertume.
Le livre comporte de nombreuses autres portes, certaines donnant sur les ancêtres, d'autres sur les peurs nocturnes, d'autres encore sur les résidences d'écrivains, les rêves, la paternité, les maisons perdues… On est peut-être dans une vaste demeure où un bal masqué a été organisé, et le narrateur, redevenu auteur, s'y promène, tournant les poignées, poussant les battants, permettant ainsi à chaque fois à une lumière nouvelle d'éclairer le grand vestibule où joue Danny, l'enfant doué et menacé, qui s'il n'est pas emporté par les fantômes finira un jour par triompher de ses peurs et ira au-delà de la fameuse sentence des mots: all work and no play makes Jack a dull boy…
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Eric Pessan, Ôter les masques, d'après Shining de Stephen King, éditions Cécile Defaut, coll. le livre la vie, 16 €

mercredi 26 septembre 2012

Le plateau d’écrivains (avec ou sans salade)


L’écrivain, à l’instar du fromage, ne doit être ni trop mûr ni trop coulant. (S’il est très jeune, mettez-le en avant lors du Salon, il partira comme et avec les petits pains du jour.) Il est également fragile, alors ne le laissez pas trop longtemps dans son coin, car il a tendance à aimer les vers, quel que soit leur nombre de pieds, et vous n’avez pas envie de voir des vers avec des pieds, croyez-moi. L’écrivain raffole des événements, qui le mettent en valeur et permettent de souligner l’excellence de sa forme et la portée de son fumet. Offrez-lui donc un plateau digne de ce nom et à la mesure de son renom. Un écrivain bien présenté est un succès garanti. Sur une table en bois, il attire le regard – vous pouvez même disposer autour de lui les quelques fruits de son travail. En bonne compagnie, vous verrez, il fera de son mieux pour qu’on le prenne en bonne part, et plutôt deux fois qu’une. Le libraire veillera toutefois à ne pas écorcher son nom et sa croûte et à le servir avec autre chose que de l’eau plate.
Mais avant d’en faire le plat de résistance, il faut qu’il s’affine. C’est là bien souvent un rôle qui échoie aux résidences, lesquelles sont nombreuses. Dans un cadre agréable, à l’abri des bises médiatiques, dûment rémunéré, l’écrivain pourra enfin donner le meilleur de lui-même et prouver si besoin est que le pain quotidien ne lui est pas nuisible.
Pour le protéger, il convient également de lui distiller les bonnes informations. Il a parfois la patte molle, quelques précautions ne sont pas donc inutiles pour l’empêcher de se décomposer sur place. Rappelez-lui qu’il a des droits, qu’il est fiscalement un salarié et que s’il ne comprend rien à rien il peut toujours appeler le Motif pour savoir si, en cas de litige – cette bactérie sournoise –, c’est râpé ou fondu d’avance.
Si l’écrivain est friand de formations, alors tant mieux, le Motif, une fois de plus, peut l’aider à maîtriser la chaîne des étapes – caillage du manuscrit, égouttage des droits, affinage de la promotion. D’un coup de spatule, vous serez dirigé vers le bon garde-manger.
Pour l’apprécier à sa juste valeur, dégustez-le à votre guise. Soit seul dans l’intimité de votre garde-livre, soit généreusement entouré de ses semblables. Dans tous les cas, gardez une poire pour la soif.
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(extrait de La Cuisine du Motif, rapport d'activité du Motif sous forme littéraro-culinaire, douze recettes au goût du jour bonjour, qu'on peut lire en ligne ici.)

mardi 25 septembre 2012

Diamants, savons et chaos

Prenez un mitron d’une ville du Gard et une jeune prostituée new-yorkaise, faites cuire dans le four de la CIA, puis servez bien chaud, accompagné de poupées gonflables et d'un zeste de LSD lors d'une partie de flipper 60, ajoutez une poignée d’abrutis cosmiques et l'improbable retour du frère de Jésus, des chips au vinaigre et quelques théories ombilicales. Mixez avec des airs des Doors, Grateful Dead, Billie Holiday, Nina Simone, secouez, puis dosez selon les goûts. Mon tout est une soirée consacrée à deux romans de la rentrée : Tous les Diamants du ciel (Actes Sud) et Soap Apocryphe (éd. Inculte). C'est la librairie Le Merle Moqueur qui régale, jeudi 27 septembre, à 19h30 (51 rue de Bagnolet, 75020). Il y aura donc l'auteur de ce blog + le magicien du chaos, Pacôme Thiellement.

lundi 24 septembre 2012

L'indispensable McLuhan et son épouse mise à nue

Incroyable mais vrai. The Mechanical Bride: Folklore of Industrial Man, de Marshall McLuhan n'avait encore jamais été traduit en français. Autant le lecteur d'ici connaissait, au moins de nom, le texte séminal de McLuhan, La Galaxie Gutenberg, paru aux Etats-Unis en 1962, autant ce texte de 1951 manquait à l'appel. Et pourtant, quel texte! Grâce aux éditions è®e et à la traduction d'Emilie Notéris, nous avons enfin sous les yeux l'essai détonant du sulfureux Canadien. Imaginez un scrap-book piégé, imaginez un livre d'heures subversif, imaginez une glose qui pétille et tacle.  Ecrit en pleine guerre froide, alors que le "contrôle des esprits" bat son plein, La Mariée Mécanique fait preuve d'une lucidité incomparable et se veut l'outil de défrichement par excellence. D'entrée de jeu, l'auteur dresse un constat appelant lutte critique:
"Notre ère est la première à avoir fait de la pénétration des consciences collectives et publiques par des milliers de consciences individuelles, parmi les mieux formées d'entre elles, une activité à plein temps. Il est à présent question [de] maintenir chacun dans un état d'impuissance engendré par la routine mentale […]."
MacLuhan va donc s'attacher à démonter tous les mécanismes de domptage médiatique mais aussi à dénicher les contre-pouvoirs, et pour cela il va passer au peigne fin la presse, la publicité, la littérature de masse, la bande dessinée, etc. En ethnologue acide, toujours inventif, doté d'un humour qui mord sans prévenir, McLuhan a conçu son livre comme une machine de guerre, non pas exhaustive, mais un peu à la semblance de livres futurs comme Mille-Plateaux: une boîte à outils conceptuels, à mettre entre toutes les mains, afin que chacun puisse à son tour continuer et intensifier la lutte contre l'hypnose. L'édition que nous propose è®e est en outre accompagnée de 65 illustrations.
Lecture ô combien stimulante. Toutes les facettes de la civilisation américaine y passent, en un irrévérencieux kaléidoscope. L'attaque est à la fois frontale et complexe. McLuhan, en 1951, a déjà tout compris. Le "contrôle des esprits" l'inquiète, mais l'amuse aussi, par son inénarrable stupidité. C'est donc un livre non pas aride mais joyeux, qui reprend et détourne l'arme médiatique, quelques années avant même que Burroughs et Gysin se lancent dans l'aventure du cut-up.
On ne perdra pas de temps à vous bassiner avec l'indispensable actualité du propos de McLuhan: c'est l'évidence même:
"Aujourd'hui, le tyran ne gouverne plus avec la houlette ni le poing mais, grimé en responsable d'études de marché, il conduit son troupeau dans les voies de l'utilité et du confort."
Alors attention. Ce livre, habilement glissé parmi quelques revues sur une table basse, pourrait bien provoquer quelques dysfonctionnements. Il n'est pas remboursé par la sécurité sociale? Normal, il EST la sécurité sociale, un rempart contre la destructive impulsion vers le succès:
"Il est suggéré que les grandes lignes de l'ordre mondial sont déjà tout à fait visibles aux yeux de celui qui étudie le flot tourbillonnant déversé par la technique industrielle. Et il doit pour cela discerner la manière dont le flot opère."
On a hâte de voir comment la presse va rendre compte de cette bombe non pas à retardement mais en perpétuelle avance.
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Marshall McLuhan, La Marié mécanique, folklore de l'homme industriel, éd. é®e, traduit de l'anglais (Canada) par Emilie Notéris, 30 euros, diff/distrib Belles-Lettres.

samedi 22 septembre 2012

Le gratin de libraires, recette

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Le gratin de libraire

Ce plat exige un subtil mélange de patience et d’inventivité, un peu comme l’amour. Il s’agit d’alterner des couches d’ouvrages de fond avec de fines lamelles de parutions récentes, et de lier ces deux strates vouées à se confondre au fil de la cuisson avec une crème discrète mais passablement épicée.
Le gratin de libraire se sert en toutes occasions, au quotidien de la curiosité ou lors des buffets-rencontres. Pour le quotidien, on choisira le libraire du coin, celui qui sait quel ingrédient convient le mieux à votre appétit, celui qui n’essaie pas de vous vendre du caviar quand vous avez des envies de topinambour. Lors de la mise des petits plats dans les grands, le libraire joue un rôle essentiel. Il doit savoir résister à une forte cuisson en cas d’affluence, ne pas se décourager lorsque le soufflé de la rencontre tarde à monter, veiller à ce que chaque part soit servie avec discernement mais aussi gourmandise.
L’écrivain doit figurer au menu du gratin non pas tel le superfétatoire brin de persil – il n’a pas vocation de garniture – mais tel l’élément de base qui, pourtant, sans le brio du chef qu’est le libraire, toqué ou pas, risquerait de rester à jamais indigeste. Le gratin du libraire le mettra donc en valeur mais sans que le convive non plus se sente face à on ne sait quel aliment incompréhensible et sacré. 
Le rire et le sérieux permettront à parts égales de goûter sans retenue ce plat dont on ne se lasse pas, sauf quand il s’agit de — mais bon, passons. Servi lors d’une rencontre, soit chaud soit froid, l’auteur comprendra très vite qu’il n’a pas besoin d’être placé en miniature au sommet d’une pièce montée, car c’est dans la convivialité de ce gratin simple et copieux qu’il saura toucher le cœur de tous les palais. En outre, c’est le seul plat où l’on permet à l’ingrédient invité de rédiger et de lire lui-même le menu. Ce gratin est souvent, sinon toujours, suivi d’une dégustation de petits crus sympathiques, dégustation elle-même suivie la plupart du temps de mémorables libations. On ne saurait le déplorer, et d’ailleurs personne ne le déplore. 
(extrait de La Cuisine du Motif, rapport d'activité du Motif sous forme littéraro-culinaire, douze recettes au goût du jour bonjour, qu'on peut lire en ligne ici.)

vendredi 21 septembre 2012

Impressions d'hôtel

L'auteur part parfois en promo.
L'auteur participe parfois à une rencontre en librairie.
L'auteur doit alors parler, lire, mais aussi: dormir. Récupérer. Reprendre des forces. Donc: dormir.
Pour cela, l'auteur se rend à l'hôtel. Il pénètre dans la chambre de son hôtel. Pour récupérer. Dormir. Mais les chambres d'hôtel sont parfois comme les mauvais livres: elles ne semblent pas vouloir de votre présence. Témoigner est donc important, même à visage couvert.


L'auteur croyait savoir où il avait rangé le sommeil, mais impossible de le trouver, c'est le bordel.
L'auteur parlemente avec sa chambre pour la convaincre de le libérer.
L'auteur envisage d'écrire un terrifiant livre catastrophe inspiré de faits réels mais surtout d'une chambre d'hôtel.
L'auteur  essaie de pousser un peu le mur de gauche pour enjamber le lit-cage et atteindre le bouton qui déclenche la troisième guerre mondiale.
"Allô, la réception?" L'auteur veut savoir s'il est possible de se faire monter une bouteille d'arsenic. C'est pour Igor, le surprenant phasme rouge.
C'est délicat de dormir sur un rebord de fenêtre, mais au moins ça donne une certaine contenance. Et puis les lits c'est ringard. Enfin, surtout celui-là.
L'auteur sait désormais où a dormi Marc Lévy le jour où il a trouvé son titre "Et si c'était vrai?"
C'est décidé: demain l'auteur rase cet hôtel gratis.
De toute façon l'auteur en avait sa claque des cinq étoiles.
Peut-être que la personne qui a construit cet hôtel n'aime pas les livres de l'auteur. L'auteur cherche une explication rationnelle en s'efforçant de ne pas paniquer.
L'auteur  n'est guère étonné que le seul numéro de téléphone fourni par la documentation de l'hôtel soit celui des urgences.
Gentil, le rat, gentil. Tout doux. Tout d———— HIHIHIHI !!! (L'auteur discute avec un animal.)
Pour cinq euros de plus, l'auteur croit savoir qu'ils fournissent une pelle. L'auteur n'ose pas deviner pour quoi faire.
Apparemment, le matelas est ventriloque.
L'auteur se demande s'il est normal que la moquette geigne.
L'auteur prend les mesures qui s'imposent – c'est vite fait, d'ailleurs: un mètre dix sur soixante centimètres.
L'auteur ne risque pas de glisser dans la douche, il n'y a pas la place.
Tout compte fait, l'auteur a été inspiré en apportant avec lui une ampoule de rechange et un piège à blaireau.
L'auteur constate (ou suppose) que les canalisations des autres chambres sont reliées à des enceintes quadriphoniques.
C'est la première fois que l'auteur trouve douze cintres et zéro tringle dans un placard.
L'auteur essaie d'ouvrir le mini-bar depuis vingt minutes quand il a comprend soudain qu'il s'agit en fait d'une peinture abstraire collée au mur.
L'eau fuit, et l'auteur ne peut que la comprendre.
L'auteur n'en revient pas: même l'oreiller souffre de malformations !
L'auteur n'avait jamais pensé que le papier peint pouvait servir à empêcher le mur de tomber. Eh bien si.
L'auteur vient de trouver enfin la fenêtre ! Elle était tellement timide qu'elle s'était déguisée en trou de chiotte.
L'auteur murmure tout bas le mot "luxe" pour voir si sa chambre d'hôtel est bilingue.
L'auteur apprécie à sa juste valeur le calendrier accroché au mur mais se demande pourquoi cette année n'est référencée nulle part.
L'auteur ne comprend pas vraiment à quoi sert ce ventilateur et suppose donc qu'il ne s'agit pas d'un ventilateur mais d'une broyeuse.
La réception: Vous n'avez besoin de rien. L'auteur: Non, de ce côté-là je suis servi, merci.
L'auteur vient d'allumer la télé, par simple curiosité, et n'est même pas surpris: Interville 1976, rediff.
Mystère de la lampe de chevet qui ne s'allume que quand l'auteur touche le mur avec ton pied.
L'auteur vient de comprendre le sens caché du mot "couvre-lit". Ce n'est pas une métaphore, c'est sûr.
L'auteur se demande bien pourquoi le rideau de douche porte l'étiquette "Approved by Psycho".
L'auteur constate que même le miroir renvoie une image dont il n'a que faire.
L'auteur n'ose imaginer à quoi ressemble le petit déjeuner, mais soupçonne déjà l'existence du café parfumé à la carotte.
L'auteur découvre que la douche a l'étonnante particularité de renouveler l'idée assez caricaturale qu'on se fait du filet d'eau froide.
Quand l'auteur leur demande de faire sa chambre, en fait, il leur demande de la fabriquer, vu qu'elle n'a pas l'air finie.
L'avantage de cette chambre d'hôtel (est obligé de reconnaître l'auteur) c'est qu'on n'a pas besoin de laisser de mot en cas de suicide. Tout le monde comprend la raison de votre geste.

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jeudi 20 septembre 2012

Nom: déclic. Prénom: rouge


"Le commencement d’un livre est pareil au mouvement du feu. Avant qu’il y ait feu, le bois, la brindille, le papier. Un assemblage, pourtant. Que l’intention n’a pas encore tenté d’enflammer mais déjà, bien sûr, le feu, sa représentation à la fois mentale et physique. Avant que les doigts se referment sur l’allumette, qu’il a fallu sortir de sa boîte, boîte qu’on a dû trouver, prendre, veiller à ne point ouvrir retournée, c’est-à-dire tiroir béant vers le vas, avant même que le désir de frottement – qui est contact, bruit, anticipation du miracle igné – intervienne, le feu a commencé dans le mouvement du livre. Ce que je veux ? Le feu. Et dans le feu, un mouvement, qui est celui du feu, et non celui de ma volonté de feu. Je veux que dans le feu passe quelque chose, qu’il se passe quelque chose de l’ordre (et du désordre) du feu, que le livre advienne à lui-même par surprise, étincelle, dans les prémisses tièdes de sa propre ignorance, hors tout rêve de brasier, mais déjà dans l’appréhension de sa future, de son inévitable, de sa dramatique consumation. […]" (Mouvement du feu)
Pour lire la suite de ce texte pyrophile, et bien d'autres choses, ne ratez pas le nouveau (et dernier) numéro de la revue Rouge Déclic (automne-hiver 2012), vous y lirez des textes de Arno Calleja, Thomas Coppey, Philippe Dumez, Clémence Dumper, Noël Herpe, Guillaume Lebrun, Noémi Lefebvre, Alban Lefranc, Daniel Pozner, Marie Simon, Claro, Johan Faerber – et, excusez du peu, Eugène Savitzkaya. Les photos sont de Philippe Lebruman. Ça coûte 7,50€.

mardi 18 septembre 2012

Acid Tour / on dirait le sud…

Quelques dates ambulatoires cette semaine pour mon roman Tous les Diamants du ciel (éd. Actes Sud):

Demain mercredi 19 septembre – mais ça on vous l'a déjà dit –, à Paris, à la librairie le Monte-en-l'air, en compagnie de Mathias Enard et Mathieu Larnaudie. Nous évoquerons le pain maudit, le printemps arabe et les chutes silencieuses.

Puis, jeudi 20 septembre à Toulouse, à la librairie Ombres Blanches, rencontre à 17h30 (50 rue Léon-Gambetta). La dernière fois que je suis allé à Ombres blanches, c'était un jeudi, et la ville fêtait le beaujolais nouveau et l'ambiance était à la défenestration mentale. Cette fois-ci, j'ai vérifié, rien de tel. Ouf.

Vendredi 21 septembre à Montauban, à la librairie La Femme renard (115 faubourg Lacapelle), à 19h. J'ai l'honneur d'être le "parrain" de cette librairie, aussi ai-je hâte de voir comment se débrouillent mes nièces Nadège Loublier et Caroline Berthelot dans leurs 240 m2.

Et enfin samedi 22 septembre, à Biarritz 17h, à la librairie Le Festin nu (2 rue Jean Bart), où je suis passé il y a quelques mois, la veille du Nouvel An, et où j'ai craqué pour le livre de Bizot, La contre-culture vue par la presse underground (éd. du Panama), qu'on ferait bien d'acquérir ainsi que cet autre volume, La révolution sexuelle vue par la presse underground, aud écitions de la Martinière – les deux volumes doivent leur conception graphique exceptionnelle à Mariel Primois, si vous voulez tout savoir.

Bref, si vous êtes toulousain, montalbanais, biarrot, ou simplement de passage, en exil, en villégiature en verve ou en de bonnes dispositions, n'hésitez pas à venir. Je disserterai doctement (ou digresserai plus vraisemblablement erratiquement) sur les poupées gonflables, les sous-marins, la bombe nucléaire française, le LSD et ses différents usages, l'alunissage, les cendriers Cinzano, Macadam Cowboy et… l'écriture. Un cours de billard électrique est également envisageable.

lundi 17 septembre 2012

Les Trois du Monte-en-l'air

Mercredi 19 septembre à 18h30



A l’occasion de la parution chez Actes Sud de :
Rue des voleurs de Mathias Enard
Tous les diamants du ciel de Claro
et Acharnement de Mathieu Larnaudie



la librairie Le Monte-en-l’air

( 71, rue de Ménilmontant / 2, rue de la Mare, 75020 Paris
Tél. : 01 40 33 04 54 – Métro Ménilmontant)

accueillera les 3 auteurs le temps d’une soirée – Hubert Artus les fera parler de leurs livres.


"Une soirée qui promet d'être diablement sympathique." (Amélie Nathomb)

 




"J'aurais tant aimé en être." (Florian Zuller)




"Je vais faire tout mon possible pour assister à ce concert." (Ringo)

vendredi 14 septembre 2012

Beaune: Diamants. Nuit-Saint-Georges: Cœur.

Aujourd'hui, à 17h30, je serai à la librairie Des livres et des hommes, à Beaune, (4, rue de Lorraine, 21200 Beaune), sur l'invitation d'Arnaud Buissonin et de Nathalie Poncet. On parlera diamants, drogue, lecture, traduction et pain.
Et demain samedi, si vous êtes toujours dans le coin, filez à Nuit-Saint-Georges: le film de Marion Laine, A cœur ouvert, sera projeté à 20 h 30, au cinéma Le Nuiton. Après la projection, une discussion est prévue avec la réalisatrice Marion Laine.

mercredi 12 septembre 2012

Librest fait sa rentrée

LIBREST – un collectif de 8 librairies de l'est parisien – fait sa rentrée littéraire et vous invite à rencontrer 13 auteurs qui présenteront leurs nouveaux livres. Ça se passera demain soir jeudi 13 septembre au Au Café Caché (104 rue d’Aubervilliers 75019 Paris Métro Riquet ou Stalingrad). Le Café ouvrira ses portes à partir de 19h, les présentations débuteront à 19h30. On causera, on lira, et on boira des coups. On pourra même acquérir des ouvrages en papier imprimés grâce à la librairie Atout-Livre qui tiendra la buvette à livres. Ne demandez pas le programme, le voici:

Elsa Osorio pour La capitana aux éditions Métailié,

Julia Deck pour Viviane Elisabeth Fauville aux éditions de Minuit,

Lucile Bordes pour Je suis la marquise de Carabas aux éditions Liana Lévi

Marie-Hélène Lafon pour Les pays aux éditions Buchet-Chastel

Christophe Donner pour A quoi jouent les hommes aux éditions Grasset

Tierno Monénembo pour Le terroriste noir aux éditions du Seuil

Patrick Deville pour Peste et Choléra aux éditions du Seuil

François Garcia pour Federico ! Federico ! aux éditions Verdier

Gerard Mordillat pour Ce que savait Jennie aux éditions Calmann-Levy

Yassaman Montazami pour Le meilleur des jours aux éditions Wespieser

Fabrice Humbert pour Avant la chute aux éditions du Passage

Claro pour Tous les diamants du ciel aux éditions Actes sud

Tarik Noui pour A nos pères aux éditions Inculte


mardi 11 septembre 2012

La mort, la fanfare et Fassbinder: Alban Lefranc frappe fort


En faisant mentionner le mot « roman » sous son titre à deux temps (La mort en fanfare), Alban Lefranc semble donner un uppercut au mirage biographique. Non, il ne s’agira pas d’une vie de Fassbinder, pas plus qu’un tombeau. Parce qu’on « entre dans un mort comme dans un moulin », et parce que l’œuvre de Fassbinder appelle un ring autre qu’un simple échiquier chronologique, le livre d’Alban Lefranc se veut en crise afin de mieux faire ressentir ce qu’il appelle le « putsch intérieur » que mena sans cesse le cinéaste allemand. Le temps presse, la vie de Rainer est brève, et tant de choses s’y bousculent : le monde en soi qu’est la matrice dite Berlin Alexanderplatz, le rouge des fractions armées, le cadavre de l’ancien SS Hanns-Martin Schleyer, les cris étouffés de la prison de Stammheim, l’amant viré à force de bourrades, les kilos et les films accumulés dans le corps, la coke et les critiques, le cerveau d’Ulrike, les larmes de Douglas Sirk, le « oui » d’Ingrid Caven et la queue de Günther… Alors, non, Alban Lefranc ne cherche pas à raconter l’épique et trash Rainer, il préfère suivre ses coups, les coups donnés et les coups reçus, dans un mouvement oscillatoire et musculeux, un coup à l’extérieur, un coup à l’intérieur, deux organismes qui s’en prennent plein la gueule, trente-sept années comme autant de pas de danse fiévreux sur le ring allemand, hors tout wagnérianisme bien sûr. Rainer rêve Ali et déjà l’Etat devient Foreman. Rainer épouse Ingrid et voilà le sperme colombe. Rainer tourne et c’est le vertige qu’il faut filmer. Berlin Alexanderplatz, on s’en souvient, commençait par une sortie de prison. La mort en fanfare ne cesse de revenir sous ses murs pour se jeter contre ses briques.
Comment faire rugir la machine Fassbinder en 120 pages ? Dire à la fois le cri de Mieze peint par Döblin et la passion terroriste vrillée de Baader ? L’énergie du « courtaud », du « bouffi », et la grâce des plans arrachés au temps toujours plus réduit du tournage ? La colère-fassbinder ? Alban Lefranc se change en esprit frappeur, ne lâche pas le morceau, colle à la sueur de Rainer pour mieux faire voir et surtout sentir la violente débauche énergétique à l’œuvre :
« On choisira pour chaque film un corps de douleur, un homme, une femme, peu importe cette fois, qui sera lentement broyé par nous tous. Ce seront des histoires simples, de pauvres mélos. Une vieille femme et un travailleur immigré, un marchand de fruits et légumes qui pousse son cri dans les cours, un prolo exploité jusqu’à l’os par le milieu bourgeois où il s’est introduit par effraction. »
Effraction : c’est le maître mot du livre d’Alban Lefranc (rappelez-vous : « on entre dans un mort comme dans un moulin »…). Mais l’effraction n’a de sens que si elle est une danse, ce qu’elle est, ici, éminemment, à chaque page. Page 101, l’auteur nous dit que le projet de Mohamed Ali consistait à « repousser le nombre limite de coups que pouvais encaisser son corps ». C’est ce que fit Fassbinder, et c’est ce que fait également Alban Lefranc : combien de coups peut supporter un livre de 120 pages ? Un livre non pas consacré à la mémoire du cinéaste allemand mais fourré dans sa carne, afin de faire de l’empathie une méthode de combat, hors toute niaiserie critique, toute bonne foi dégoulinante.
Le style n’est pas l’homme, mais le souffle. Dans le ring de la page, les corps cessent d’être dialectiques. Il faut frapper, parer, voler. L’important n’est pas de gagner mais d’avoir mérité la verticalité du combat. Avec Fassbinder, grâce à Alban Lefranc, la mort est un rêve devenu fanfare, et le chaos un art technique.
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Alban Lefranc, Fassbinder, la mort en fanfare (éd. Rivages) — sortie le 12 septembre 

lundi 10 septembre 2012

La main au marteau: Nerval via Thiellement


Ce serait commettre une grossière erreur que de voir en Pacôme Thiellement un maître de l’herméneutique ou quelque brigand jailli des sombres arcanes, chargé de rassembler les membres épars (et pillés) d’Osiris. Son gai savoir se moque des stratégies occultes. S’il décrypte, c’est pour animer l’hiéroglyphe, l’aider à démordre de la poussière et faire de ses essors une danse nouvelle. Thiellement est un chasseur de chimères, mais jamais il ne les tue ni ne les empaille.
On s’en convaincra à la lecture de son vibrant essai sur Nerval, L'Homme-électrique, dans lequel, armé d’outils deleuziens, il déplie le drame d’Aurélia et la scénographie des Chimères afin de montrer combien leur auteur – si mal aimé, si mal compris, à l’exception notable de Proust –, plutôt que de se protéger du monde par un parapluie occulte, s’est lancé dans une entreprise de désenvoûtement. Je dis bien « afin de montrer » et non de « démontrer », car Thiellement, en grand émancipateur de freaks, est essentiellement du côté de la monstration. Attentif aux pulsations des textes, il laisse les confluences aller leur gré, passer leurs gués, et s’il superpose parfois des calques qu’on pensait hétérogènes, c’est pour mieux qu’un désir de palimpseste s’insinue dans le feuilleté de la pensée. Afin de rendre Nerval (au) vivant, électrique, Thiellement nous montre comment Nerval a su, au fil des désillusions, réorchestrer les discordances de ses amours déçues afin de les organiser en galaxies. Pour cela, il convoque ses frères, la tribu mobile de ceux qui, à sa semblance, ont rêvé d’être un jour comme Blanqui sortant de prison et voyant défiler, dans le flux des foules, l’armée exacte de ses complices. Impossible, donc, pour Thiellement, de ne pas convoquer Artaud, non pour établir de pesants parallèles, mais pour « machiner » leurs trajectoires, leurs stratégies. Son livre sur Nerval est donc aussi, et peut-être surtout, un livre sur Artaud, dont il se révèle un lecteur plus qu’épanoui. Il nous rappelle également à quel point le freudisme s’est très tôt cherché un sain logis plutôt que de s’aventurer dans le vortex de l’hypnose, et ce afin d’opposer la supercherie du transfert aux ondes et charges de la sexualité. D’où l’importance du concept d’antérotisme chez Nerval, dont Thiellement montre qu’il a pour ancêtres l’amour courtois (et entretient un rapport complexe avec la gnose), et qui génère des concepts, comme celui, impeccable, de « l’horloge à filles ». On croisera également, au fil de ces pages électriques, Proust et les géniteurs du Grand Jeu, Huysmans, Zappa, Breton et même les Beatles. Car pour Thiellement, au-delà même de toute esthétique avant-pop, il s’agit d’établir une vaste cartographie des désenvoûteurs. Comme si « l’inconsolé » n’était pas celui qui s’abîme dans la tristesse mais celui qui refuse, moyennant risques et chutes, les stratégies de consolation. En cela, Thiellement est profondément post-spinoziste, et ce n’est pas la moindre de ses vertus.
C’est un livre, au final, sur l’envoûtement de l’amour — c’est donc un ouvrage pratique. Une méthode, si l’on veut, pour rentrer dans la lecture en ange déchu mais armé. Et pour faire du lecteur, à son tour, un « homme électrique », susceptible de produire des synthèses disjonctives et d’initier des devenirs (Deleuze n’est pas cité pour rien dans l’ouvrage, et l’on peut avancer sans trop d’erreur que Thiellement est un de ses plus brillants continuateurs, tant par le style que par l’audace). Car de quoi s’agit-il, en vérité ? Quel est le projet tendu de toute lecture, sinon de se faire un autre corps, inconsolé ? Thiellement sait ce que lire veut dire, et le dit :
« […] le corps de l’Homme électrique est toujours à construire. Il ne sert à rien de tenter de le retrouver dans les récits forgés par notre conscience pour expliquer nos actions. Il faut agir, à la main et au marteau, jusqu’à ce que les anamnèses se produisent. » (p. 152)
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Pacôme Thiellement, L’Homme électrique – Nerval et la vie, Musical Falsa, 2008


vendredi 7 septembre 2012

Post-exotisme et mima: Martinson


On lit les textes pour des raisons parfois (souvent?) adventices. Je ne connaissais pas Martinson, j'ignorais même qu’il avait eu le prix Nobel de littérature en 74, et ne me doutais pas que ce poète avait été, sans le vouloir, un cas de post-exotisme par anticipation (j’ai acheté un de ses livres parce qu’il était sur les rayonnages de l’excellente librairie Charybde, et publié par les passionnantes éditions Agone ((et qu’il me restait cinq minutes pour ne pas repartir les mains vides – sortir d’une librairie sans rien acheter est une expérience honteuse que je ne souhaite à personne, et il est fort probable qu’il existe un démon attendant quelque part qu’on commette un tel acte pour sévir à sa façon).
Aniara est un ovni littéraire, comme on dit aujourd’hui quand on veut avertir le lecteur qu’il ne s’agit pas d’un roman sorti des presses poussives du réel romanesque. Sauf que c’est vraiment, littéralement, adéquatement, un « ovni », puisque cette fantaisie épique raconte l’histoire d’un vaisseau spatial voué à une longue errance galactique. La Terre ? L’homme l’a gâchée. Il a fallu fuir, trouver d’autres zanzibars où jouer les patauds colons. Mais Aniara, après une fâcheuse rencontre avec un astéroïde, doit changer de cap, et le voilà perdu dans l’infini néant. Bien que piloté par une entité aussi douée qu’attachante, « la mima », il est bel et bien perdu.
Ecrit en quatorze jours (puis bien sûr retravaillé et prolongé), Aniara est né d’une vision : par une nuit d’août 1953, en pleine guerre froide (cela a son importance), le poète Martinson observe au télescope la galaxie d’Andromède et connaît alors une sorte de « transe ». Il rédige alors cette surprenante odyssée où science et conscience s’unissent pour mieux décrire les ruines de l’âme en cent trois chants. Improbable chaînon manquant entre La Fin de Satan de Victor Hugo et l’œuvre de Volodine, Aniara, à l’instar du vaisseau éponyme dont il narre la dérive, flotte et crépite dans une brume apocalyptique, portée par une voix languide qui pourrait être celle du surfer d’argent. Travaillé par des accents tantôt homérique, tantôt biblique, mais issu d’une recherche poétique influencé par Carl Sandburg et Walt Whitman, ce poème demeure irréductible à tout courant littéraire, puisant dans son propre vortex une musique à jamais interlope, même s’il reste puissamment sous-tendu par le spectre de la mort atomique et le fantasme pré-lapsarien. Si la Mima, ce super-ordinateur si sensible qu’il en vient à se saboter, évoque à nos yeux modernes le Hal démiurgique de Kubrick, la lecture d’Aniara n’en reste pas moins une expérience littérairement « dépaysante » :
A l’aide d’un programme d’examen logostylistique
phase après phase, des cycles mathématiques
de Mima j’acquis rapidement une telle pratique
dans l’art de tout rendre transparent
que trois ans jour pour jour après l’instant
où Mima rendit l’âme dans la halle d’Aniara
je pus sonder les transtomies de la loi
qui détermine l’ascension et l’effondrement.

Si Volodine, d’aventure, parcourt ce globe, pardon, ce blog, j’aimerais bien savoir s’il a eu connaissance de cet étrange astéroïde qu’est Aniara et s’il a reconnu, parmi sa population d’errants et de chamanes, quelques visages connus…
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Harry Martinson, Aniara, une odyssée de l’espace, poème transposé du suédois par Philippe Bouquet & Bjorn Larsson, éditions Agone

jeudi 6 septembre 2012

Mobile Butor


Mobile, de Michel Butor, est un livre exemplaire à plusieurs titres. D’abord, parce qu’il marque un changement de cap radical dans l’œuvre de l’auteur, lequel prend ses distances d’avec la forme romanesque après quelques titres ayant rencontré un large public. Ensuite, parce qu’il se démarque franchement du paysage littéraire français d’alors. Après Degrés (1960), l’œuvre de Butor va entrer dans une phase prolixe, feuilletée, à la fois poétique, picturale et réflexive, et témoigner d’un désir de transformer la littérature en laboratoire. Un labo-atelier, un labo-cuisine, où les ingrédients seront tour à tour (et simultanément) le rêve, la peinture, le voyage, la ville, la poésie. Quand paraît, en 1962, Mobile, les lecteurs de Butor sont, à leur tour, obligés de changer s’ils veulent le suivre. Fini le tour de force littéraire (tout relatif) d’une « modification » de la narration avec ce « vous » qui prend un train. Fini l’association facile avec les tenants du Nouveau Roman (conglomérat fantasmé par les journalistes). A l’instar de Claude Simon ou Pinget, Butor tente « tout autre chose ». Et sans doute y parvient-il, entamant un long périple rhizomique par un acte radical, dont témoigne, à tous les niveaux, Mobile : la disparition de l’auteur. Car Mobile se veut un livre qui s’écrit lui-même, une cartographie réinventée des Etats-Unis, composé de parcelles non plus géographiques mais linguistiques qui tiennent lieu d’étapes dans une relecture d’un continent.
C’est à la page 29 de son Mobile que Butor, très simplement, offre une première définition de l’entreprise :
« Dans le village de Shelburne, on a rebâti un certain nombre de maisons anciennes condamnées à la destruction dans le Vermont, constituant ainsi un singulier musée. La partie la plus étonnante en est peut-être la collection de courtepointes, ou ‘quilts’, en mosaïque d’étoffes. Ce ‘Mobile’ est composé un peu comme un ‘quilt’. »
La métaphore n’est pas innocente, elle fait de l’auteur du livre un artisan plus qu’un créateur, et de sa matière un ensemble hétérogène réordonné. Pour cela, Butor va utiliser différentes sortes de « pièces » : les noms de lieux, les descriptions d’oiseaux (qui sont en fait des description de gravures d’Audubon), les encarts publicitaires, des notations climatiques, des listes (voitures, étoiles, etc.), des menus (les différents parfum de glace), des titres de journaux, des paroles rapportées (le débat sur Chicago à l’heure de l’Expo universelle…), des indications ferroviaires – mais aussi, et surtout, des bribes de récits concernant les Indiens d’Amérique (ainsi que de procès de sorcellerie), et ce afin de rappeler quel immense palimpseste sanglant est l’Amérique.
Evidemment polyphonique et nécessairement éclaté, bien qu’obéissant par sa construction au diktat alphabétique (le voyage se décline d’Etat en Etat, de l’Arizona au Wyoming), Mobile se veut également éminemment pictural, puisque l’intention de Butor est de réitérer, à l’aune de l’écriture, le geste de Pollock (le livre est dédié à sa mémoire), d’inventer une sorte d’action-writing ou la violence de l’aléatoire et la dénonciation de la représentation se livrent à un étonnant ballet. A cet effet, le jeu homonymique avec les noms de ville et la litanie de la nomenclature. Mais aussi : les contrastes, les heurts, les ironies, etc.
Dans un entretien télévisé avec Pierre Dumayet (qu’on peut visionner sur le précieux site de l’INA), Butor explique que son livre est une partition, la main gauche jouant la base en caractères romains et la droite ajoutant des mélodies en italiques. Dans ce même entretien, Butor s’explique longuement et dans le détail sur la structure de Mobile. Du coup, ça ne rate pas, Dumayet, en faux Candide, lui demande pourquoi il n’a pas fourni de « mode d’emploi ». Et Butor de répondre que l’exégèse est la tâche du critique, et qu’en outre il revient au lecteur d’être dérouté. Dérouter : s’agissant d’un livre sur les Etats-Unis et les trajectoires qui en composent le paysage, le verbe prend alors tout son sens. L’écriture comme moyen de « dérouter » le lecteur, c’est-à-dire de lui proposer des déviations, d’autres itinéraires.
Mais ce qu’il y a de plus troublant, de plus excitant, à la lecture de Mobile, c’est l’effet sur le lecteur, lequel devient pur médium d’un magma d’énoncés, radio captant diverses émissions sans cesse interrompues et brouillées. Le paysage américain, dès lors, est déchu de son caractère géographique pour devenir un chœur d’énoncés foisonnant. Quilt sonore, donc, où résonnent non pas tant les multiples échos nés de la pluralité des reliefs, mais les « airs » joués depuis la nuit des temps dans l’espace américain : un brouet d’ondes antagonistes. Car sous l’apparence d’un vaste réseau reconstitué, on entend bruire sans cesse deux voix, celles des Indiens et des Noirs exterminés, avilis, humiliés, déportés, récupérés, entre lesquelles s’entrelacent les déclarations décomplexées des Blancs. Il en naît une étrange logomachie, celle du mythe et de la réclame, du passé aboli et de la retape insistante, le tout sur fond  minéral ou végétal, mental ou sensoriel.
Le livre, rythmé par le défilement des fuseaux horaires comme autant d’imperceptibles secousses, recrée une autre nuit et un autre jour afin de modifier la perception et l’intellection. Soumis à ce perpétuel décalage, le lecteur sait désormais qu’il ne peut plus se contenter de suivre les recommandations d’usage, telles celles fournies par le catalogue de Sears, Roebuck & Co, qui enjoignait ceci à l’acheteur d’une méthode de peinture inédite :
« Inutile d’être un artiste, désormais il suffit de peindre par numéros : créez une charmante image, même si vous n’avez jamais tenu de pinceau auparavant ! C’est amusant… C’est si facile ! Il suffit de remplir les surfaces numérotées sur le canevas avec les couleurs qui leur correspondent. Terminez votre œuvre avec un élégant cadre de chêne. »
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Michel Butor, Mobile (étude pour une représentation des Etats-Unis), Gallimard, 1962

mercredi 5 septembre 2012

Voyage Handschin


Voici un auteur dont on devrait lire chaque année un livre qui fonctionne à une étrange méthode que celle ici en vigueur, force et redondance, ou contre-danse puisque le complément d’objet y est systématiquement ou presque transformé en sujet de la phrase suivante, à moins qu’une homophonie permette elle aussi un pont entre deux énoncés de cette façon le propos peut paraître abscons ne s’y méprenne pas, P.N.A. Handschin sait où il va, ce qu’il construit et détruit, à savoir la fiction du je suis un autre et pas qu’un seul instant d’inattention et voilà déjà plusieurs morts et plusieurs naissances et contre-sens, tout ici fait sens s’en rendre compte le lecteur dérive d’incidents en accidents tous les cas la synthèse disjonctive fait force de loi et impose à l’instable syntaxe sa proliférante imagination.
Mais trêve de mimétisme. Abrégé de l’histoire de ma vie est le sixième volet d’un cycle – le terme est ici parfait – intitulé « Tout l’univers ». Projet ambitieux et drolatique, où le biographique est virus, où les lieux du monde sont visités à bride abattue, au gré d’une inspiration musicale qui, mise en bouche et récitée, défie le souffle et l’esprit. D’aucuns pourraient trouver cette entreprise, sans précédence ni descendance, vaine, au sens où elle peut sembler autodétruire – non sans malice – sa propre vitalité par un éternel retour du dissemblable. Mais s’il y a vanité, c’est celle que l’infernale machine narrative de Handschin malaxe et piétine staccato, celle du rebondissement, de la généalogie, de l’accident, du revirement, etc, ici poussée à des paroxysmes hilarants.
Mais Handschin c’est avant tout une incomparable leçon de lecture, généreuse, technique, bouffonne, avec parfois des accents gloomy, une façon de forcer la langue à se phagocyter pour mieux s’éterniser, au mépris de la mémoire du lecteur qui, tel un alpiniste roulé par une avalanche, n’a pas le temps de comprendre qu’il était devenu scaphandrier puis spéléologue et enfin terrassier de lui-même.
Il y a, enfin, du Rimbaud dans Handschin. Son narrateur, au je moléculaire et mutable, ne sort de ses saisons en enfer que pour mieux multiplier les illuminations du temps et de l’espace. C’est peut-être, paradoxalement, l’unique roman réaliste existant : celui d’un moi qui n’existe que dans la déflagration imaginaire (et la mise en plis ((coupons les cheveux en quatre !)) des mirifiques et désopilants possibles.
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PNA Handschin, Abrégé de l’histoire de ma vie, éd. Argol (2011)