jeudi 13 décembre 2012

Gass frappe le bon do

En anglais, l'expression "middle C" désigne "le do du milieu", ou "do médian", "do central" ou encore "do de la serrure"…, bref la touche blanche précédant deux noires qui se trouve au centre du clavier, autrement dit le quatrième do en partant de la gauche, bonjour octave, tink! et par ici la musique! C'est le pivot sonore à partir duquel peut débuter tout apprentissage du piano – sur un clavier d'ordinateur, ça serait cette ligne brisée imaginaire qui va, tel un éclair, de haut en bas et de gauche à droite entre les lettres t, g, b et y, h, n. Mais nous n'en sommes pas encore à établir des correspondances aussi osées. Retenons surtout une chose: ce "middle C" est également le titre d'un roman à paraître en mars 2013 aux Etats-Unis – Middle C – , et là notre cœur fait boum! puisqu'il s'agit ni plus ni moins du nouveau roman très attendu de l'immense William H. Gass, l'auteur du Tunnel, paru en traduction en 2007 chez Lot49 (et pour lequel avait été créée à l'origine la collection Lot49). On ne peut pas dire que Gass soit un auteur  prolixe pour ce qui est de la fiction: deux recueils de nouvelles, deux romans et une novella depuis 1966 – en revanche, une dizaine de recueils d'essais brillantissimes qu'il faudra bien un jour présenter, même partiellement, au lecteur français.
Mais revenons à Middle C, son dernier roman à paraître. Gass avait mis trente ans à accoucher du monstrueux Tunnel; cette fois-ci, il a pressé sa monture et passé seulement vingt ans à élaborer ce dense roman, qui raconte l'histoire d'une famille originaire de Graz – les Skizzen – qui ont fui l'Autriche avant la guerre pour se réfugier en Angleterre, le père se faisant passer pour Juif afin de justifier son départ. Lequel père va vite disparaître et l'on suivra alors le fils qui, devenu pianiste honorable, a décidé de fonder un Musée de l'Inhumanité…
Une fois de plus, on retrouve la prose incroyablement rythmique de Gass, ce sens de l'équilibre dans la syntaxe qu'il aime perturber tantôt avec hargne, tantôt avec subtilité. Infusée de pensée, tranchante mais jamais tranchée, la prose de Gass, sous couvert d'un classicisme musclé, emporte le lecteur dans le maelstrom d'une écriture parvenue à sa maturité jubilatoire. On lit en battant la mesure avec le pied:
"Professor Joseph Skizzen remembered how his mother smelled when she returned to their shattered flat, how her odor glowed as though she were a fumigation candle as she made her way amidst the dark stench of wet burned paper, wet charred wood, the peppery bite of powdered glass, the reek of oil and rubber, of smoke-stuffed sofas. And his father was insisting that things looked grim for them again.  In the world, affairs and facts smelled rank."
Il faudra attendre un peu pour lire en français cette symphonie prodigieuse, mais en septembre 2015, si tout se passe bien, Middle C aura achevé sa longue transmigration langagière. On envisagerait presque pour le coup de rebaptiser la collection Do49…
Il faudra également lui trouver un titre français à la hauteur, parce que, hum, bon, le "do du milieu" pose un problème certain, dans la mesure où l'on entend "le dodu milieu"… Il existe heureusement, entre les différents claviers, des accords secrets que la traduction a pour mission de faire résonner.

4 commentaires:

  1. Alors, en bonne notation française, ce serait Do3 (et Do4 ou plus exactement C4 en notation américaine, mais là ça devient carrément explosif !)... mais le terme "Do de la serrure" (parce que c'est la touche qui se trouve au niveau de la serrure - quand il y en a une - qui permet de verrouiller le cylindre de protection du clavier) me semble la plus appropriée et la plus usitée dans le milieu musical...

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour cette excellente incitation à plonger bientôt dans Lot49.

    Pour le do du milieu, moi et mes amis pianistes l'appelons communément do central. La première oeuvre qui me vient à l'esprit à entendre parler de ce do est la Fantaisie de Schumann en do majeur (op. 17). Et ensuite l'Aria et variations de la Sonate pour piano op. 111 de Beethoven (sur la même tonalité de sa majesté do majeur). Dans les deux cas, ce do, si vertical et tour à tour lunaire et solaire, mais toujours lumineux, est, comment dire, on ne peut plus... central!

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour Claro, en te lisant me sont venus les mots "sur la touche", qui ont aussi une signification musicale, mais bien sûr, n'ayant pas lu le livre de William H. Gass, je ne sais pas s'ils conviennent. Juste une idée, et une occasion de te saluer de Tel Aviv. Travaille bien.
    Sabine Huynh

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Intéressant, mais "sur la touche" (ou "sul tasto" chez nos amis ultramontains) s'applique aux cordes frottées, quand l'archet n'est pas en position "ordinaire" mais plus éloigné du chevalet, quand il frotte les cordes plus près de la touche (la partie du manche de l'instrument sur laquelle se posent les doigts pour définir la hauteur de la note)... c'est l'opposé de "sur le chevalet", ou "sul ponticello", quand l'archet est positionné au plus près du chevalet.

      Supprimer