vendredi 4 mai 2012

Enfoncé dans le texte

Il y a quelque temps, dans un post précédent, je me penchais sur un livre de George Maxwell dont la traduction me semblait prêter à rire, ou du moins révéler un certain problème de langue, à la fois en vo et vf, problème accru par la traduction, et certainement rehaussé par le recours à l'argot. Honte à moi. Quelques secondes de recherches m'auraient épargné une confusion de taille. Car entre-temps, on m'a signalé un petit détail qui a son importance: ledit George Maxwell est le pseudo d'un auteur français ! (Merci à Arnaud Hofmarcher et Sébastien Le Pajolec…) Information que me confirme le site papy-dulaut:
"Si Georges MAXWELL est le pseudo reconnu de Georges Edmond Marius Esposito, il est aussi le pseudo collectif qu'empruntèrent entre autres Eric LOSFELD, Françoise
d'EAUBONNE, André HELENA et Claude FERNY sans qu'on puisse attribuer telle œuvre à tel auteur."
Par ailleurs, Eric Losfeld évoque Maxwell, en écorchant son nom, dans ses mémoires:
« Je me souviens aussi d’un garçon très secret, taciturne, qu’un terrible accent provençal ne parvenait pas à faire paraître plus joyeux. On aurait dit Hamlet joué par Fernandel. Il était l’auteur d’une série intitulée la Môme Double Shoot. Seul, à ma connaissance, Jean Rollin, le réalisateur, en possède la trentaine d’exemplaires. Avant sa mort, l’auteur m’a confié les droits de ses livres. Peut-être qu’un jour, la mode rétro fera qu’un éditeur s’emballera sur les polars de J.H. Maxwell. »
Bon, le mystère n'est pas non plus tout à fait éclairci et ma honte n'est pas tout à fait complète, car je rappellerai que le roman dont je parlais était quand même assorti de la mention d'un titre anglais original: Pitiless… Que sait-on d'autre sur ce mystérieux Maxwell? Ceci, entre autres choses:
Est-ce [François] Richard qui propose à Esposito de prendre le pseudonyme de George Maxwell, comme il est d’usage à l’époque de prendre un pseudo “américain” ?… peut-être…Est-ce encore lui qui va lui demander de se présenter comme traducteur / adaptateur (et sous son véritable patronyme), dans la série “La Môme Double Shot” ?, plus sûrement… François Richard n’a-t-il pas usé de ce procédé pour le premier titre qu’il est censé avoir écrit dans la série “Rouge et Noire” du Fleuve Noir “Elles ne sont pas toutes comme ça ”… ? Toujours est-il qu’en hommage à son manager, Esposito va adopter le prénom de “Richard” pour signer les soi-disant “adaptations” de ses propres écrits dans cette série. Ainsi donc apparaît la « Collection La Môme “Double Shot”, dirigée par Patrick Rossart (=Roger Dermée), écrite par George Maxwell et adaptée de l’américain par Richard ESPOSITO »
Sur le forum littérature populaire, les spéculations vont également bon train, et la bibliographie de Maxwell prend des proportions épiques… Bref, les brumes s'étendent, la visibilité baisse, nous errons dans un prodigieux potage. Car que doit-on conclure? Que Maxwell est un auteur français écrivant des polars qu'il fait passer pour des traductions de l'américain? Certes. Mais alors, s'est-il attelé à une tâche surhumaine, consistant à donner à sa prose une allure de traduction en la travaillant de sorte à ce qu'on sente derrière elle un imaginaire texte original? Ou son écriture était-elle, d'emblée, si tordue par le principe de camouflage, qu'elle semblait comme par magie déjà traduite, et qui plus est mal traduite? A moins qu'il n'ait travaillé, en secret, sur d'obscurs polars américains, faisant croire qu'il s'agissait des traductions (ce qui était le cas) tout en faisant croire qu'il faisait croire que c'étaient des traductions (ce qui était le cas) ????? Car enfin, quelle que soit la page sur laquelle on s'arrête, dans son Jaguar ne pardonne pas, on tombe sur des pépites effarantes:
En douce il avança sa chaussure jusqu'à escalader la chaussure de l'autre et soudain appuyant son pied sur le sien il lui donna une légère poussée avec le doigt. (p. 79)
Ou encore:
On ne pouvait se faire une opinion bien déterminée quant à ce qui avait résulté au point de vue d'une ivresse plus ou moins accusée. (p. 91)
Ou pire:
Richard mit en marche lentement et se porta à hauteur de l'incendie. (p. 111)
Bon, le plus simple serait de recomposer l'œuvre originale à partir de la vraie/fausse traduction de Maxwell. De (re)traduire ce fumeux jaguar en anglais pour voir s'il évolue semblablement dans la jungle des faux-semblants… A ce stade du doute et du soupçon, une inquiétude s'installe. Et si tous les traducteurs, plus ou moins consciemment, inventaient le livre qu'ils pensent traduire? Et s'il n'existait aucune autre œuvre écrite dans aucune autre langue? Et si nous étions seuls au monde, emprisonnés dans notre astucieuse langue française, en train d'imaginer d'autres langues, d'autres contrées, auxquelles conférer une ombre de réalité via l'invention d'un procédé littéraire inédit que nous aurions nommé traduction? Et s'il n'y avait pas… d'étrangers ! Vertige! Mais non, ce serait cauchemardesque. Et le fait que tous les jours il se trouve de bonnes âmes pour nous rappeler que le monde, en dehors de nos frontières, grouillent d'étrangers qui parlent des langues étranges. Balayons donc ces inquiétudes. Partons de l'idée que le principe de Maxwell est partout au centre et nulle part à la périphérie. Et admettons une bonne fois pour toutes que la langue, dans sa cocasse bifidité, aime à nous rappeler que nous sommes plusieurs, et même beaucoup plus que ce qu'aimeraient nous faire croire les chiffres de la Préfecture…
 

2 commentaires:

  1. Véritable filon/filou comique ce Maxwell ! J'espère que d'autres vastes et borgésiens développements sont à venir !

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  2. MacGuffin réussi, Chapeaux (le X de Chapeau n'est pas une faute d'orthographe mais cache un auteur) et Alice est ravie.

    Dans une traduction française, nombre 188 a pris l'identité de nombre 170 du portique bolanien, des mauvaises langues diront
    que c'est de la jalousie, certainement pas, il s'agit de ne pas se tromper de vocabulaire c'est bien plutôt jubilation qu'il faut entendre,
    ils luttent tous les 2 également, avec nombre 168, contre la maltraitance intellectuelle envers les enfants malmenés
    par une pseudo-littérature de consommation,
    "pour ne pas se perdre dans ses souvenirs d'enfance comme un vieillard" Flaubert in Notre âme est une bête féroce, Jean-Louis Schefer.

    La Rolland-temporel dit MWerdre avec eux, nous ne voulons pas d'une littérature comprise d'emblée mais plutôt une Linnérature,
    nous avons connu ces humiliations dans l'enfance parce que nous comprenions autrement les mots. Maintenant il revient à nombre 168
    d'être à la hauteur de tout ce qu'il a reçu et va lire encore en beaux présents, belles absentes.

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