mercredi 29 février 2012

Rohe et le cas AK


Oliver Rohe, Ma dernière invention est un piège à taupes, Éd. Inculte, 13€90

La dernière invention d’Oliver Rohe est un piège à biographies. S’agit-il de raconter la vie de Mikhaïl Kalachnikov ? La destinée de l’AK-47 qu’il ne cessa de perfectionner ? Ou les métamorphoses politiques de cette icône armurière ? Pour l’auteur, ces trois segments possibles n’ont de sens qu’orchestrés. Une vie ne se résume pas à une production ni une invention à son usage. Un livre, encore moins à une pièce montée. Dans la chaîne d’assemblage mise au point par Oliver Rohe, on travaille en même temps sur plusieurs dispositifs, et on veille à ce qu’ils fonctionnent, différemment à chaque stade, à chaque page, le vrai-faux portrait du jeune koulak, exécuté d’un pinceau sobre, par touches prudentes, comme si la psychologie était une chimère quand ce qui compte vraiment c’est le parfum du mélèze et l’ivresse du métal. Mais notre inventeur n’a pas le temps de se diriger vers le zénith de son invention que celle-ci semble déjà lui préexister, tel un virus plébiscité par l’immense organisme russe. L’homme est lent à se réaliser dans l’objet, mais l’histoire prompte à s’incarner dans ce dernier. Il y a donc l’arme en gestation, celle qui pousse au bout des doigts de Mikhaïl à la façon d’une racine ingénieuse, et l’autre, celle que la reproduction rend omniprésente, indispensable, même si l’AK-47, censé faucher l’ombre nazie, doit se trouver très vite une autre cible à la hauteur, faute de guerre chaude. A partir de ces deux axes aux vitesses différentes, et qui eux-mêmes subissent de très subtiles variations dans leur traitement stylistique, Rohe trace une autre ligne, plus frêle, mais non moins têtue, et dépeint, au prix d’une distance soigneusement calibrée, des scènes où la sacro-sainte kalachnikov devient un élément du décor, non point relique brandie par des pillards, mais clé de bois et d’acier permettant d’ouvrir toutes les séditions, gadget magique capable de changer chaque enfant en adulte, chaque civil en rebelle.
Le travail narratif et descriptif auquel se livre Oliver Rohe procède lui aussi par rafales, les attaques de paragraphe envoyant tout d’abord de brèves salves, puis, opérant ce mariage de précision et d’abondance qui fait la force de l’AK-47, arrosant plus largement la page, marquant des pauses sèches, obligeant le souffle à épouser la rythmique de plus en plus tenue de la phrase :
Il avait grandi de quelques centimètres et il était prêt. Il n’avait rien laissé au hasard, du point de départ jusqu’à la ligne d’arrivée, tout avait été prévu et organisé depuis les combles. Dans son sac à dos il y avait assez de provisions pour tenir plusieurs jours, du pain noir, des betteraves, de la viande séchée et des pommes de terre, il y avait du linge propre, un couteau de chasse, une corde, il y avait une boussole et une carte dessinée à la main avec des croix, des cercles, des noms, des échelles de distance, une signalétique complète pour se repérer à la sortie du village, s’engager dans les bons sentiers et avancer dans les bois, sans encombre, tout au long de son trajet. […]
Jouant du double impératif – précision, abondance –, Rohe reste tantôt tapi dans l’âme de l’arme, aux aguets, la joue contre la crosse, tantôt laisse sa vision s’enfuir par le viseur, pour voir, au-delà de la cible, le destin de l’arme, laquelle devient, en dépit de sa surproduction, la marchandise idéale, monnaie d’échange en soi, presque pour soi, qui vaut par sa seule apparition sur le théâtre des opérations, théâtre où il n’est plus nécessaire de parader en livrée pour prétendre à un rôle décisif. L’AK-47, première arme civile venue réinventer la guerre dans une parcellisation outrée des territoires à défendre.
Et les taupes dans tout ça, me direz-vous ? Eh bien, si nous étions contraints de nous terrer dans des trous, si nous étions mal outillés pour voir plus loin que le bout de notre nez, si nous étions considérés comme nuisibles malgré notre insouciance, nous serions à même de nous en faire une idée plus qu’humaine…

mardi 21 février 2012

Exécution !


A paraître en avril en LOT 49… : Exécution !, de Mark Leyner.

Le jeune Mark a un sérieux problème : il vient d'apprendre qu'on va lui décerner un prix prestigieux et très bien doté pour un scénario qu'il n'a malheureusement pas encore écrit. Il serait temps qu'il se mette au travail, mais ça tombe… comment dire ?… plutôt mal. En effet, son père, Joe Leyner, est sur le point d'être exécuté par injection létale, et Mark doit assister à l'exécution. Ce contretemps est d'autant plus fâcheux que son père est autorisé à prononcer quelques dernières paroles… et que celles-ci vont vite se transformer en une longue confession, riche en digressions et en souvenirs détonants. Heureusement, la directrice de la prison fournit drogues, alcools forts et ébats en tous genres…

On a comparé la prose de Mark Leyner à « un cocktail de William Burroughs et de Jimi Hendrix ». On a accusé ses ouvrages d’endommager les cerveaux de ses lecteurs. C'est pas faux. Lisez Exécution !, vous comprendrez tout de suite pourquoi.

Mark Leyner est né en 1956 aux États-Unis. Il est l'auteur de trois recueils de nouvelles ainsi que de nombreux articles pour Esquire.



Extrait:

Mon père n’est pas un mauvais bougre. Il est juste incapable de prendre de la poussière d’ange sans déraper. Au risque de simplifier, je pense que ç’a toujours été son principal problème. Certaines personnes sont capables de consommer du PCP tout en restant sociables et d’autres non, et mon père tombe malheureusement dans cette dernière catégorie. Normalement, papa est quelqu’un d’hyper gentil, de patient, un type bienveillant, mais quand il a sa dose, il devient une tout autre personne – agressif, instable, extrêmement violent.
Je me rappelle un jour où il m’aidait à faire mes devoirs – j’étais en cours élémentaire deuxième année et je rédigeais une dissertation qui comparait le sacrifice rituel des prisonniers de guerre lors du festival aztèque Tlacaxipeualiztli (la Fête des Hommes Flagellés) avec les récents bizutages mortels à la FIT – et papa se montrait tout simplement d’une aide exceptionnelle en ce qui concernait la conceptualisation du thème de la dissertation ainsi qu’avec les recherches et les corrections (c’était un grammairien minutieux), et à un moment on a sonné à la porte d’entrée et papa est descendu. C’était apparemment un de ses « pécépistes » parce qu’il a disparu pendant près d’une demi-heure et quand il est revenu dans ma chambre, il était transformé. Il transpirait, il bavait, ses pupilles étaient contractées, son élocution laborieuse – les symptômes classiques.
On s’est remis au travail, et tout d’un coup papa s’est emparé de la souris et a surligné une ligne sur l’écran de l’ordinateur et il a dit : « C’est un modificateur non restrictif. Il a besoin d’être séparé par des virgules. »
J’ai dû dire quelque chose du genre : « Ce n’est pas grave, papa, passons à autre chose. »
Là-dessus, il est devenu fou furieux. « C’est une phrase adjectivale non restrictive. Elle n’est pas essentielle au sens de clause principale de la phrase. Elle devrait être séparée par des virgules. C’est très grave ! »
Et il s’est emparé d’un instrument à graver l’ivoire, un souvenir que j’avais acheté à la boutique du musée de la Baleine de New Bedford il y a de ça plusieurs étés, et il l’a enfoncé dans sa cuisse gauche, je dirais sur au moins cinq ou huit centimètres de profondeur.
« Entendu, je vais rajouter les virgules », ai-je dit.
Papa n’a manifesté aucune sensation de douleur, visiblement rendu insensible par sa dose de PCP. Le fait est que s’enfoncer un outil à sculpter dans la cuisse a paru l’apaiser. Il n’a pas fait la moindre tentative pour l’ôter, ni n’a manifesté le moindre désir de le faire, et plus tard, alors que nous nous efforcions de trouver une façon plus familière de dire « cloué au piloris de la propitiation infinie d’une divinité détestable et sanguinaire », papa a fait vibrer sans s’en rendre compte l’outil enfoncé tout en réfléchissant. (Trad. Claro)

lundi 20 février 2012

Une peau pour quoi faire: Dans la "crevasse" avec Terzian

Pierre Terzian, Crevasse, Quidam éditeur, 15 €

Crevasse: avant même de faire faille, le titre dit l'agonie. Comme si une vie n'était que l'ensemble des préparatifs menant à la chute. Le premier roman de Pierre Terzian raconte une vie mal partie, une vie passée à ne rien dépasser, en marge de ce que les autres vivants appellent bonheur ou chance. L'histoire d'un anonyme qui a "de la moisissure sur la langue" et qui s'essaie à la survie avec une opiniâtreté faite exclusivement de dégoûts et d'une giclée d'espoir. Un exclu du charme, un abonné à l'embrouille, piétiné par les autres, dont le parcours n'est que heurts, coups et viscosités, avec de temps en temps le prurit de l'héroïsme qui le démange, la tentation de la renaissance. Terzian déplie la litanie des stations par lesquelles trébuche ce survivant de l'ordinaire avec une écriture qu'il faut bien qualifier, littéralement de poignante: non pas au sens émotif ou compassionnel, mais au sens strict: comme si la phrase était une main à jamais refermée sur le corps du personnage, une poigne qui ne lâche pas, et dont on entend craquer, à chaque mouvement, les phalanges — une gueule de chien, un étau d'atelier. Écrit à la deuxième personne du singulier, et condamné donc à la rafale et aux trébuchements des tu, des ta, des ton, des tes, le roman de Terzian offre au lecteur, comme en contrepoint à l'incessant parfum de déchéance, une écriture quasi pianistique, tout en variations, reprises, inventant pour ce faire un morse de la douleur où brèves et longues cadencent le récit de cet "homme sans surprise". Organique, moléculaire, musical, Crevasse ne désarme jamais et contraint la pire désillusion au chant, non pour sublimer la pâte erronée du réel, mais pour rappeler au lecteur qu'il est des éblouissements jusque dans la fracture:
"Un rendez-vous. Une conspiration d'adultes. Beaucoup trop d'hommes qui veulent faire mal. Un temps d'attente anormal. Une camionnette remplie de jeunes hommes cassés, dans un hangar. Un sol carrelé. Une porte qui s'ouvre sur des rires de chien. Des hommes. Trop d'hommes qui attendent. Des culs sans nom à lécher. Pas d'état bizarre. Juste peur de mourir. Une peur de marchandise. T'as froid dans tes nouveaux habits. Les jambes nues. Vous avez tous peur. Trop d'hommes pour laisser faire. Trop de bruit. Des hommes qui attendent que tu t'ouvres. Des jeunes hommes qui tombent de la camionnette comme des rouleaux de tissu."
Terzian, orfèvre des peurs marchandes et des rituels de mort dont s'enorgueillissent, malgré eux, les corps des mal-aimés, transforme au final cette "crevasse" en tombeau littéraire, et ce n'est pas la moindre de ses qualités.

vendredi 17 février 2012

Gallimard l'a amer

François Bon a mis en ligne sur publie.net sa propre traduction du Vieil homme et la mer, la rendant ainsi disponible aux lecteurs désireux de lire Hemingway en français autrement sous l'accoutrement police dont le revêtit l'immense baudruche Jean Dutourd en 54. Précisons que Hemingway est dans le domaine public aux Etats-Unis et au Canada. Pas en France, parce qu'ici on met plus de temps à mourir afin de protéger les droits de l'immobilisme littéraire, mais bon, passons. La mise en ligne – l'expression me semble de circonstance – du texte d'Hemingway n'est pas du goût des éditions Gallimard, qui voient dans cette "commercialisation" d'un texte ni traduit ni édité par leurs soins un "acte de contrefaçon" et qui somment l'éditeur de le retirer de la vente, et les libraires d'en faire autant. Il faut quand même être très à cheval sur la loi et très obtus éthiquement pour considérer la démarche de François Bon sous l'angle du plus vil brigandage. Quel tort est fait à Gallimard, qui semble craindre qu'on mette en péril son lassant fantasme hégémonique? On ne sait pas.
Bien sûr, il existe des lois régissant les droits d'auteur, d'adaptation, etc. Bien sûr qu'il importe de les faire respecter. Mais ce n'est pas la traduction vieillotte de Dutourd que Bon a mis en ligne. Et il serait peut-être temps de ne pas considérer systématiquement comme illégale toute tentative de diffusion des textes autrement que par la sacro-sainte édition papier. Ni, sous prétexte d'un prétendu respect de l'œuvre et de sa diffusion, d'empêcher les démarches qui visent, au contraire, à en accroître et diversifier le rayonnement. Publier un texte consiste à le faire vivre, et non à conserver un minimum d'exemplaires en cave pour s'assurer qu'on en détient encore les droits ou à juger menaçante toute traduction autre que celle mise en orbite il y a des lustres.
Il est regrettable que certains éditeurs, non contents de prendre en marche le train du numérique après s'en être méfié et l'avoir longtemps gaussé, désignent aujourd'hui comme leurs ennemis ou concurrents ceux-là même qui aspirent, avec le soutien des libraires, à une édition fluide, mobile, nomade, éprise de risques. Blessé, François Bon s'interroge aujourd'hui sur la nécessité d'alimenter la plate-forme extraordinairement dynamique qu'est publie-net. Et François Bon n'a envie ni d'attendre qu'on fête le centenaire de ses éditions ni qu'on lui attribue une plaque de rue. Il veut juste que vivent les textes. (Et qu'on puisse lire Hemingway autrement que sous la plume d'un académicien abonné aux Grosses Têtes et membre du comité de soutien de l'Unité capétienne.)
On aimerait bien que Gallimard se pose un jour la question suivante: "Et pourquoi donc que j'irais pêcher une bête qui ne m'a rien fait?" Pauvre Ernest, priez pour les pauvres pêcheurs…
On se demande surtout pourquoi Gallimard, qui semble porter un amour si profond à ce texte, n'a jamais songé à le refaire traduire…


L'âme mémoire: Nous irons à Tamanrasset

Jeudi 23 février, à 19h30, aura lieu la projection du superbe film documentaire d'Emmanuelle Mougne :

Nous irons à Tamanrasset 

salle Charles-Brabant, à la Scam (5 rue Vélasquez, 75008 Paris.) Il est conseillé d'appeler avant au 01 58 30 73 48 (ou d'écrire à contact@laternamagica-production.fr) pour réserver sa place. 

Ce film de 59 minutes raconte l'histoire d'Emmanuelle et de Bernadette. Une fille propose à sa mère, âgée de 80 ans et atteinte de la maladie d'Alzheimer, de se rendre à Tamanrasset, en Algérie. Pourquoi? Que s'est-il passé, là-bas, il y a longtemps? Bernadette en a gardé un souvenir, fort, persistant, et il est des pèlerinages qui font plus que remonter le cours de la mémoire, surtout quand cette dernière est brouillée, en perpétuel déséquilibre.

Nous irons à Tamanrasset est l’apprentissage d’une compagnie, un voyage dans le temps enfin partagé, non pour rendre au passé ses couleurs et ses nuances, mais pour qu’advienne, à force d’obstination, un instant autre, unique. L’oubli est ce qui nous rappelle à la mémoire: sous sa trame usée, nous devinons les contours d’un empire perdu, fait de nous-mêmes et des autres – mais ce que l’œil ne reconnaît plus, il le voit encore. Le film d’Emmanuelle Mougne, où gai savoir et patience extrême parviennent à un équilibre saisissant, capte cette magie fragile qu’est toute invitation au voyage. Attentif aux moindres vibrations du crépuscule, il éclaire et met en relief un autre paysage que celui du naufrage, sur lequel ni la maladie ni l’âge n’ont de prise, et qui est le vécu, toujours recommencé. C’est l’histoire d’une mère et d’une fille qui décident d’oublier, quelques jours, à quoi rime la mémoire. Où vont-elles? À Tamanrasset. Mais encore? En un lieu où nous pouvons les suivre, en toute sérénité, grâce au regard d’Emmanuelle Mougne qui fait se confondre le discret et le secret, la joie et la peine.

jeudi 16 février 2012

Le Salon du Prêt à Payer

Avis aux écrivains: cette année, à moins de participer à un débat et faute de ne pas avoir d'actualité, il vous faudra payer votre entrée. Enfin, c'est ce qu'on croit comprendre en lisant la lettre de Bertrand Morrisset, commissaire général du Salon:
"A compter de cette année, seuls les auteurs ayant une actualité et donc une dédicace sont accrédités gratuitement. "
Bon, si vous venez signer un livre sorti il y a longtemps (durée délicate à déterminer vu l'économie du livre), il vous faudra donc payer, sauf si l'on considère que le fait de le signer fait à nouveau de ce livre une actualité, mais bon, là, j'extrapole un peu. Si vous participez à un débat, mais n'avez pas d'actualité, eh bien on ne sait pas – ça doit pouvoir se négocier, je suppose (et j'espère, parce que je dois participer à un débat, et il me semblerait bizarre de débourser 9,50 € pour participer à un débat, mais sans doute suis-je atteint de mesquinerie aiguë…).
Peut-on considérer le fait de participer à un débat comme une forme dévoyée d'actualité? Mystère. On croise les doigts.
Si votre livre a eu un prix en octobre, est-ce encore une actualité? Ou bien les récipiendaires des prix d'automne vont-ils devoir débourser? Nouveau mystère.
Bref, cette étonnante mesure, qui en soi n'a rien de scandaleuse, pose de façon plutôt amusante le problème de "l'actualité" – et soudain on n'a pas (ou plus) envie d'être du tout actuel, on a envie de rappeler (et de croire) que la littérature est profondément inactuelle, qu'un livre paru il y a deux ans continue, à sa manière discrète et têtue, non de "paraître", mais d'apparaître.
Mais ne rouspétons pas trop. Car derrière cette restriction se cache peut-être une inavouable vérité. S'imaginera-t-on en haut lieu que si tous les écrivains qui se rendent au Salon du Livre y entrent gratuitement, on court vers la catastrophe financière? Et puis, reconnaissons-le, ce n'est pas toujours évident de prouver qu'on est écrivain. Va-t-on reconnaître comme tels ceux qui publient à compte d'auteur? Ceux qui ne publient qu'en format électronique? Ceux qui ont signé leur contrat mais dont le livre ne paraîtra que quelques jours après le Salon? Ceux dont le ou les ouvrage(s) ont été pilonnés ou sont indisponibles? Il fallait donc mettre des limites à cette incontrôlable marée humaine.
De toute façon, comme le précise Bertrand Morrisset (qui n'y est sûrement pour rien), "cette accréditation doit passer par l'éditeur". Ce n'est donc pas le moment de s'engueuler avec son éditeur, hein. Et puis, neuf euros cinquante, ce n'est pas la mer à boire, quand même. En plus, c'est une occasion de reverser une part de vos droits d'auteur à une bonne cause, non?


(Sinon, pour ceux qui sont doués et radins, vous pouvez toujours torcher un bouquin en un mois et le coller à l'office du 15 mars. Vous serez alors éminemment actuels.)

lundi 13 février 2012

Nádas sinon rien

En attendant la parution chez Plon début mars du monumental Vies parallèles de Péter Nádas (1500 pages, vingt ans d'écriture…), signalons que son traducteur, le passionnant Marc Martin, vient de recevoir (avec Sophie Aude qui a collaboré à la traduction) le prestigieux Prix Nicole Bagarry-Karátson. On lira avec profit l'entretien qu'accordait il y a trois ans Marc Martin à Gábor Orbán sur le site littérature.hongroise, dont sont tirés les propos suivants:

En toute théorie, une traduction [de la traduction] devrait être un texte à part entière, c’est-à-dire entièrement pensé, exprimé, rêvé, musiqué en français, mais à la fois digne en tout point de la nature de l’original. Cela implique une quête d’équivalents, au service d’une opération de transplantation, ou plutôt de transsubstantiation. Il en résulte des pertes à certains moments, mais à d’autres on peut espérer les contrebalancer par divers profits. D’où la nature ambivalente de la traduction : un jeu de pertes et profits. Et un jeu de patience souvent proche du casse-tête. Car de la théorie à la pratique, il y a souvent bien plus loin que de la coupe aux lèvres.

Marc Martin a traduit Péter Nádas, János Térey, Zsuzsa Rakovszky ou Attila Hazai, et publié également en tant qu'auteur un roman: Járt utat kétszer járj! (Vallomások a magyartalanságomról), Alexandra Kiadó, Pécs, 2004.

dimanche 12 février 2012

Sandoval: en route vers l'éther !



Mario Cuanda Sandoval Le Voleur de morphine, traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon, Passage du Nord-Ouest, 19 €


Ça se passe en Corée, c’est-à-dire nulle part. La guerre fait rage et bien pire encore. Deux soldats – le géant colombien Wilson Reyes et son pote maigrichon Bentley – apprennent l’ennui et la survie en s’efforçant de ne pas trop salir leur âme. On est en 53. On est surtout dans un roman fiévreux et incantatoire, qui, s’il rappelle par certains aspects le mythique Abattoir 5 de Vonnegut, opère sur le lecteur comme une drogue indispensable. L’écriture de Sandoval a un petit quelque chose de vollmannien dans sa volonté ininterrompue de saturer le texte d’images inédites, stellaires, vibratiles, qui font appel à tous les sens et dérèglent l'imagination. Le rêve, l’illusion, la mélancolie se liguent pour travailler la pâte des phrases et nous entraîner avec elle dans une immersion totale. Fascination : telle est le maître mot de l’entreprise.
Sandoval ne lâche pas son lecteur, il l’entraîne dans des méandres qu’il sait autant extérieurs qu’intérieurs et, en conteur avisé, se livre à une stupéfiante cartographie de la guerre : ses attentes, ses trous noirs, ses frontières poreuses. Fort de son style à la fois simple et volcanique, patient et incandescent (un équilibre pour le moins virtuose…), Sandoval peut dès lors nous balader partout, avec la désinvolture intimiste d’un Fresan, il peut nous donner en pâture les plus sombres ou les plus lumineuses couleuvres, il peut nous édifier sur un texte d’Edgar Poe, sur les origines cotonneuses des anesthésiants, l’unicité du flocon de neige, il peut même tente de nous faire croire que le texte que nous lisons n’est pas de lui mais d’un certain S. K. Caplan, mort à Bogota en 97, auteur américain de cet unique roman… La fin du livre offre d’ailleurs un retournement, un déboîtement singulier, auquel on n’est pas forcé d’adhérer, tant la réussite du livre tient dans la magie de son écriture.
Roman de l’oubli et de la douleur, de la quête sans objet et de l’impossible cristallin, traversé par des explosions, des horreurs, des compassions, des perditions – mais aussi et surtout roman des visions et des disparitions. Il y est question d’une ampoule qui ne s’est pas éteinte depuis un siècle, d’une femme qui capte directement dans son cerveau les hymnes de la propagande, d’un gamin qui détrousse les cadavres pour se gorger de morphine, d’enterrement prématuré…
Une petite merveille venue d’Andalousie, par un des tenants les plus prometteurs de la nouvelle garde espagnole. On attend avec impatience, donc, la traduction de son premier roman, Boxeo sobre hielo.

vendredi 10 février 2012

"Elles", de Malgorzata Szumowska : la maman et les putains

Dans "Elles", le film de Malgorzata Szumowska, une journaliste enquête sur la prostitution estudiantine. Ce n'est pas un documentaire, rappelons-le, mais une fiction, aussi l'enquête menée par Anne (qu'interprète Juliette Binoche) est-elle mise en scène, avec ses flous, ses parts d'ombre, etc. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le film joue sur plusieurs tableaux: non seulement il ne diabolise pas le recours au sexe tarifé, mais il en fait également un point attractif, obligeant Anne à s'interroger sur son rapport au plaisir, et au désir. Il n'est pas question ici de se livrer à une critique de ce film audacieux, fort et dérangeant, mais plutôt de signaler que l'image qu'il donne des hommes (le mari d'Anne, les clients des deux jeunes filles etc.) n'a guère été apprécié de certains spectateurs masculins. La peinture de la frustration, la remise en cause des postures de pouvoir (qui se sert de qui?), la fascination pour la marge, etc: le film traite de tout cela et de bien plus encore, cherchant sans cesse à débloquer des situations, des conflits, ou du moins à rendre prégnants ces blocages. Quelque chose ne va pas dans la vie d'Anne, mais elle ne sait pas si elle droit en chercher la cause à l'intérieur ou à l'extérieur. Est-elle si protégée, ou au contraire poreuse et sujette à d'intenses contaminations? Szumowska prend des risques et nous offre de les partager.

J'ai reçu récemment un texte, fort et pertinent, écrit par une jeune étudiante, que le film a profondément touchée, et qui a voulu réagir, entre autres, à la réception de ce film magnifique dans certains médias. Je vous encourage à le faire circuler. 



"Elles, la maman et les putains
Ce film écrit, réalisé, produit par des femmes et portant sur des femmes, a été paradoxalement accusé aussi bien d'être trop féministe que pas assez. Accusations de simplisme elles-mêmes simplistes, liées au fait de représenter les femmes trop comme des héroïnes ou pas assez comme des victimes. Ou encore, accusations de trahir la réalité de son sujet, de ne pas assez aider à sa compréhension, bref, de ne pas fournir des interprétations clés en main. Or, s'il a été bien documenté, ce film n'est pas un documentaire (genre dont est pourtant issue la réalisatrice), et ne se veut pas une enquête sur la prostitution estudiantine.
La question du pourquoi, du contexte social dans lequel les deux jeunes filles interviewées par la journaliste vendent leur services en tant qu'escorts, est à peine suggérée, ce qui a valu au film le reproche, absurde, de célébrer « la libre disposition du corps des femmes » (Le Monde du 01/02/12) qui s'accomplirait dans la prostitution. Comme si le simple fait de donner à voir des filles qui se vendent sans l'intermédiaire d'un souteneur, et sans non plus insister lourdement sur la misère sociale et psychologique qui les y auraient menées, revenait à apporter sa caution. Pourtant, il n'est à mon avis pas anodin que Juliette Binoche, qui s'est beaucoup impliquée dans ce film, invitée au Grand journal du 31/02/12, ait tenu à y prolonger et compléter le propos du film sur les déterminismes sociaux à l'œuvre (conditions de vie précaires des étudiants, sirènes de la consommation ostentatoire, objectification du corps des femmes).
La question du comment, elle, est abordée à travers le point de vue de la journaliste, sur le mode de l'incompréhension et du fantasme. Les questions sans réponses, nombreuses, en disent plus long que le récit des jeunes filles, puisque comme le dit l'une d'entre elles: « Le plus difficile ? C'est de mentir, tout le temps ».
Il faut peut-être être un homme pour, comme Jacques Mandelbaum, dans le journal Le Monde, n'avoir vu dans ce film qu'« une mise en scène aguicheuse », du « voyeurisme » et de « l'érotisme soft» et... tomber la tête la première dans le piège tendu par les auteures du film, qui affirment vouloir « faire prendre conscience au spectateur de son propre plaisir de voyeur » tout en sachant qu'il est «probable que Elles ne plaise pas à certains hommes, car il leur renverra une idée d’eux-mêmes qu’ils n’aimeront pas » (Dossier de presse). Ce qui nous est donné à voir, à travers le regard bourgeois et bien-pensant de la journaliste, c'est au contraire un récit sexuel qui ne fonctionne pas, comme cette porte du frigo qui coince inlassablement (plan récurrent), comme ce client impuissant qui se met à pleurer.
L'illusion de la libre disposition de son corps, les rapports de pouvoir qui traversent la sexualité et les rapports hommes-femmes sont un fil conducteur du film, là encore à peine suggéré, simultanément occulté et rendu visible quand, vers la fin, la jeune fille qui assurait tout contrôler, tout décider dans la relation tarifée, se fait sodomiser contre son gré. La caméra, qui en réalité n'a jamais été complice du récit de liberté et de plaisir des étudiantes, fait alors remonter, l'air de rien, toute la violence latente qu'elle se refusait jusqu'alors à montrer, par rejet du misérabilisme... c'est la même jeune fille qui disait : « Avec les clients, je fais la même chose qu'avec mon copain ».
C'est ce continuum de la violence sexuelle réelle et symbolique qui jette le trouble en la journaliste, laquelle découvre ou feint de découvrir que « tous les hommes regardent du porno dans [sa] maison», et que pour son mari, incapable de concevoir ce qu'elle traverse via la rédaction de son article, « une pute, c'est une pute », et « il a l'air de s'y connaître ».
Ce trouble qui naît des entretiens, lors desquels s'est nouée une complicité fugitive entre elle et les deux jeunes femmes, elle l'éprouve et l'explore physiquement. Malaise insidieux, de plus en plus sensible, alors qu'elle se brûle, se coupe, dans cet appartement où tout est trop design, trop bio, trop lumineux, trop lisse. Où elle rejoue, façon vingt-et-unième siècle, l'aliénation au quotidien de la femme bourgeoise et le cruel manque « d'une chambre à soi », introuvable espace pour la réalisation de soi. Cet espace pour écrire et pour exister par soi-même que Virginia Woolf (source d'inspiration majeure pour la scénariste) revendiquait pour les femmes dans son célèbre texte du même nom, la journaliste en dispose tant bien que mal, mais ce qu'elle se cherche encore, c'est un espace pour jouir.

Son trouble restera jusqu'à la fin diffus, se dérobant aux formes intelligibles du conflit intérieur ou conjugal, et donc à une quelconque résolution. Non, elle « ne fera pas chier au dîner avec ses trucs féministes », comme l'y enjoint son mari. Tranquillement assaillie par les visions des michetons que pourraient être (ou sont peut-être, de toute manière, finalement, intrinsèquement) les hommes assis autour de la table, elle n'explosera pas : elle prendra la porte, puis reviendra.
S'effondrera à genoux, tentera de jouer la putain mais restera la maman.
La dernière scène, sous des apparences de légèreté, est d'une grande force symbolique et, à mes yeux, d'une tristesse infinie : lors du petit-déjeuner familial, après une vague tentative d'ouvrir elle-même le pot de confiture, le personnage principal, dans un geste féminin rituel, passe le pot à son mari qui lutte avec un certain temps et finit, non sans peine, par réussir à l'ouvrir, se conformant ainsi au rôle qu'on attend de lui. Chacun reste à sa place, et de savoir comment les hommes vivent la leur n'est pas le propos du film : contrairement à ce qu'en dit J. Mandelbaum, les « personnages masculins » ne sont pas « mis au pilori », mais tout simplement inexistants, et de fait pathétiquement inconsistants, tant la recherche esthétique de Elles est, de manière assumée et réussie, centrée sur les femmes.
La question de savoir comment la prostitution peut se donner l'allure d'un choix, qui taraude la journaliste au début de son enquête (« Vous ne trouvez pas ça humiliant ? »), est pour sa part complètement retournée par le spectacle de la banalité de la domination consentie... ainsi, c'est le même plat qu'apprend à préparer l'une des deux jeunes filles avec son premier client, et que la journaliste passe la journée à cuisiner pour les invités de son mari. Cet acte de dévotion, ce souci de l'autre dans laquelle la féminité idéale et idéalisée s'incarne, ne peut être que gratuit, à l'instar du massage qu'Anne/J. Binoche prodigue à son père hospitalisé : c'est le fait qu'il soit tarifé et rationalisé, dans le cas des escorts, qui dérange et remet tout en question. Mais il apparaît, selon la métaphore proposée par l'une des étudiantes et jouée au sens littéral par la journaliste, que les hommes, « c'est comme la clope, c'est difficile d'arrêter ». (Mona C., 21 ans)

jeudi 9 février 2012

Naufrage de Ferry: les recherches continuent…

L'agrégé Luc Ferry, rebondissant telle une balle en mousse dopée à la naphtaline, sur les propos débilissimes de Guéant:

"Au nom de quoi pourrait-on refuser à quiconque le droit de préférer les traditions qui ont engendré une grande littérature à celles qui commandent les sociétés sans écriture?"

La formulation est pour le moins alambiquée et procède d'une affligeante enfilade. Remontons en saumon le courant de cette non-pensée : littérature (grande, of course) ::: engendrer :::: tradition :::: préférence ::::: droit ::::: refus :::::: au nom de quoi? Plouf plouf plouf. Diantre. Difficile de désemboîter la chose. On pourrait certes avancer une traduction: "Non mais putain ça crève les yeux que les volumes du Lagarde et Michard c'est quand même autre chose que les conneries zoulous." Mais ça serait sans doute un peu trop littéral.
En tout cas, le propos de Ferry assez astucieux. Et nous l'engageons à préférer en toute liberté la tradition qui a donné Balzac – en lui rappelant, toutefois, qu'il est difficile de réduire la tradition à cette seule réussite. Car, comment te dire, petit Luc, mais sans aller jusqu'à penser – faut pas exagérer –, tu pourrais peut-être, au nom de la réflexion, te refuser le droit de préférer la tradition qui a engendré des propos aussi débiles que les tiens? Parce que franchement, ça veut dire quoi? Tu penses vraiment que Guéant adule Chateaubriand et méprise la culture inuit? Que c'est ça qu'il a voulu dire avec ces gobineauteries affligeantes sur les civilisations?
On ne t'accusera pas de mauvaise foi. On ne t'accusera même pas. Mais avais-tu besoin, vraiment, d'invoquer la "grande littérature", cette chose fort vague dont tu représentes de toute façon l'évident antipode? 
Heureusement que tu n'occupes pas un poste important. Quoique… Que dirais-tu du ministère de la Propagande? En attendant, nous te laissons te délecter de ta dernière gloire puisqu'il paraît  que l'école du village de Ricarville en Seine-Maritime a pris ton nom pour en orner son sympathique fronton. C'est pas rien, dis donc, une société avec écriture…

MadWoman Bovary : still alive & kickin'…

Ce jeudi 9 février (de 12h15 à 13h),  Denis Saint-Amand (ULg) est l'invité du Séminaire de l'Imaginaire pour une conférence sur l'un des personnages les plus célèbres de la littérature : Madame Bovary.

Tout en procédant à une présentation générale du personnage de Flaubert, Denis Saint-Amand marquera ce qui le distingue des autres héros présentés dans le cycle de conférences. Effectivement, Emma Bovary n'est ni un personnage inscrit dans une logique sérielle, ni une véritable "héroïne populaire". Il montrera comment elle est elle-même une forme de produit imaginaire de ces héros populaires, qu'elle lit avec passion.
 
Enfin, Denis Saint-Amand abordera la réception particulière du personnage, au moment de sa parution (avec le procès de 1857), mais aussi après (avec une filiation originale, qui va de différentes adaptations filmiques au Madman Bovary de Claro et au For Emma de Bon Iver).

Comme d'habitude,  rendez-vous à  la Bibliothèque des Chiroux (Espace Rencontres) - Entrée place des Carmes, 1er étage.

Entrée libre

Info : Centre Steeman - Bibliothèque des Littératures d'Aventures (BiLA) - Téléphone : 04.351.72.26
e-mail : bila@chaudfontaine.be

mardi 7 février 2012

Kofler d'hiver

La librairie La Cédille, sous l'impulsion de Damien Besançon, vous convie à une soirée découverte autour de l'écrivain autrichien WERNER KOFLER,

le jeudi 9 février prochain à 19h

en présence de ses éditeurs français CATHERINE ET DOMINIQUE FAGNOT (EDITIONS ABSALON), de son traducteur BERNARD BANOUN et des auteurs et traducteurs français Claro et Jakuta Alikavazovic.



Ça se passera très précisément ici :

Librairie La Cédille
33, rue des Volontaires
75015 Paris
Tel/Fax: 01 45 67 67 40
la-cedille@orange.fr

Cette soirée sera l'occasion, à travers lectures et discussions, de revenir sur les quatre livres de Kofler disponibles en français à ce jour, et de mettre en avant l'importance et l'originalité d'une œuvre encore méconnue au-delà des frontières autrichiennes.
Disparu le 8 décembre dernier à l'âge de 64 ans, Werner Kofler a commencé à publier en revue dès 1963. Auteur d'une quinzaine de récits, de pièces radiophoniques et d'une pièce de théâtre, il est l'une des voix majeures de la littérature autrichienne de ces cinquante dernières années. Si son goût de l'invective et de l'imprécation lui a valu d'être rapproché de Thomas Bernhard, sa remise en cause des procédés narratifs en fait un digne héritier de Samuel Beckett. Instrument d'investigation d'une mémoire à la fois collective et personnelle, son écriture fragmentaire, parfois proche du collage, est un miroir tendu à la société actuelle, à l'Autriche, microcosme concentrant les errements de la "modernité". Dans la lignée des polémistes viennois comme Karl Kraus, c'est tout autant à la critique du langage qu'à celle de la société que se livrent ses récits.

Les deux premiers volets de son "Triptyque alpestre", Derrière mon bureau et Hôtel Clair de Crime, son récit Automne, liberté. Et sa pièce de théâtre Caf'conc'Treblinka, traduits en français par Bernard Banoun, sont publiés aux éditions Absalon.


"La phrase de Kofler ne se dévide jamais dans la sérénité (...) Dans la cordée dérangeante des écrivains autrichiens, il affiche une subtile association d'alacrité et de virtuosité. Aucun ne met si ironiquement en scène l'outillage de la rhétorique et les finasseries de la narratologie."(J-C Lebrun, L'Humanité)

"Il s'agit bien ici, dans cette vaste entreprise, de se venger du réel sous toutes ses formes. Proche en cela de Thomas Bernhard ou d'Elfriede Jelinek, il semble que Kofler pousse la vengeance encore plus loin. Il ne s'agit pas d'attaquer ou de se moquer de l'adversaire – le monde existant –, mais de sans cesse le retourner, de le mettre sens dessus dessous, et ainsi de l'annihiler." (L. Margantin, La Quinzaine Littéraire)

"Kofler n'est pas seulement l'héritier, revendiqué, de Thomas Bernhard et l'ombre portée du Beckett de Molloy. C'est aussi une machine à dynamiter l'autobiographie, une usine à allusions, un adepte de la logomachie, qui semble reprendre le désarroi kafkaïen pour le plonger dans une nouvelle réalité, encore plus stratifiée, toujours plus traître." (Claro, Le trublion Kofler, Le Clavier Cannibale : http://towardgrace.blogspot.com/2011/03/le-trublion-kofler.html)

vendredi 3 février 2012

La sécurisation selon Fillon, c'est pas très gay

"L'institution du mariage a un objectif, qui est celui de la sécurisation des enfants. C'est un objectif qui ne me paraît pas compatible avec les couples homosexuels." (François Fillon) —

Ces propos tenus par le primo ministrel sur France 2 sont si ahurissants qu'on se demande où il va chercher ce genre d'âneries. Mais ils ont le mérite de nous éclairer sur deux points, au moins. Tout d'abord, il appert que le mariage a pour objectif la "sécurisation des enfants". Ensuite, que les homosexuels sont incapables de sécuriser des enfants.

En ce qui concerne le premier point, on remarquera que, éventuellement, le mot qu'on attendait était "éducation". Eh bien non. Papa et maman ont autre chose à faire de plus important, à savoir s'occuper de la "sécurisation" – mot étrange et pas très heureux, apparu en 1969 et signifiant plus ou moins "apaisement", mais qui, dans le contexte actuel, renvoie plus simplement à la sacro-sainte obsession du gouvernement. On se marie donc non par amour ou par respect des traditions, mais pour "sécuriser les enfants" (bon, d'accord, faut d'abord les faire, mais ça doit aller de pair avec le mariage, je suppose).Ça veut dire quoi, sécuriser un enfant? Lui expliquer la différence entre le Père Fouettard et François Fillon? Placer une caméra de surveillance dans sa chambre? Le rassurer en lui faisant peur? On ne sait pas. On a un peu l'impression, avec ce mot de "sécurisation", que Fillon prend les enfants pour des périmètres.

Concernant le second point, là encore, on atteint des sommets. Les homosexuels ne sont pas compatibles avec l'objectif fixé par l'institution du mariage, qui est comme chacun le sait désormais la sécurisation des enfants. Bon. On pourrait croire que ça veut dire que les pédés sont incapables d'élever des mômes, mais non, ça serait trop primaire. Juste qu'ils ne sont pas "compatibles" avec le sacro-saint objectif marital. C'est amusant, ce terme de "compatible". Ça a un petit relent médical. Mais ça va bien avec le mot "sécurisation". Et puis ça a le mérite d'être objectif. C'est un fait, voilà. Pourquoi des homosexuels ne seraient-ils pas en mesure de sécuriser des enfants, ça, on ne nous le dit pas. Ça doit couler de source pour l'hétéro Fillon. Précisons: il importe aux yeux de Fillon que ça coule de source. Genre: on parle bien de ce que je crois? Oui? Ok alors pas besoin d'expliquer ou de se justifier, hein? Vous voyez ce que je veux dire, quand même? Parce que si Parents = Pédés, alors Sécurité des enfants = 0 (parce que, hein, bon, pédés ≤ pédophiles). Ah d'accord. Oui bien sûr, on aurait dû y penser avant même de poser des questions débiles.

Ah, au fait, il y a environ 65 000 enfants maltraités en France nés de couples hétérosexuels. François Fillon devrait peut-être aller vérifier que leurs parents ne sont pas un petit peu, euh, gay ? Parce que sinon on comprend pas.


jeudi 2 février 2012

ENFIN DU NOUVEAU SUR LA TERREUR

Du 8 au 12 FÉVRIER 2012, à la Galerie 6 bis (6bis cité de l'ameublement, 75011 Paris), Exposition des œuvres de Pierre Marquès, l'homme qui a illustré le Bréviaire des artificiers de Mathias Enard, l'homme aux mille kalachnikovs ! "Pierre Marquès, en poète visuel, détourne les discours du consumérisme occidental (les publicités, les images de célébrités, ou même la pornographie) et les transforme en armes. Il montre la violence que dissimulent ces discours, la dureté de la modernité. Pourtant, il ne s’agit pas d’une simple ironie ou d’un humour facile. Car ce qui est en jeu ici, c’est la plasticité, la très grande beauté de ces images." (pour en savoir plus, c'est ici).

A la demande de l'artiste et de son complice Enard, je me suis fendu d'un petit texte piégé qui s'intitule "Violent comme la rencontre dans un atelier d’un peintre et d’une kalachnikov" – et que vous pouvez lire ici.

Mais le mieux, encore, c'est de venir au vernissage de l'expo, qui aura lieu mercredi soir (le 8 février), à partir de 18h. Et de repartir avec un gun sous le bras – ou une tortue explosive.