jeudi 14 octobre 2010

Soft City, le film (re: Villemolle 81, ze mouvi)


Villemolle 81 est le DVD que tu peux acheter si tu veux. C'est un documentaire qui donne froid dans le dos de celui qui le regarde en face, réalisé par l'énigmagmatique Vincent Paronnaud, reportage hallucinématique sur un village du Tarn comme on les aime sous la menace, une enquête objective et lunaire, tournée sans concession avec une compétente caméra et un preneur de sons et d'initiatives.
Au départ, il s'agissait simplement de couvrir un événement culturel de haute volée, "La Battaille [sick] de Villemolle", occasion pour les Villemollois de chanter leur passé troublionesque et possiblement historique. Les ans, les us, les coutumes, les distractions, la punchitude citoyenne, la police municipale (style "j'ai deux grands bœufs dans mon étable"), et surtout la figure charismatique du maire (Franck Ballon, hybride de James et de Bond), nous sont donc dévoilés avec une pudeur qui rappelle les grandes heures de la charcuterie française. Il y a aussi l'idiot du village, victime d'une expérience scientifique menée par l'Armée française qu'il faudra tôt ou tard inculper de négligence ou de malice. Cette frêle mais tenace population a à (hi-hi) cœur de relancer le tourisme, et s'y emploie avec ce brouet de naïveté et de naïveté qui est l'apanage des naïfs (et des niais, too).
On retiendra surtout la figure éminemment touchante de la secrétaire du Maire, Crystel, modèle de dévouement et de dents de lapin. Il y aussi cet agriculteur amateur de clavier électrique, qui a su trouver l'amour sexué par l'Internet, et dont l'épouse, arrachée à l'Est de l'Europe, justifie à elle seule toutes les exactions des Huns. Qualifié par la fiche promo de "subtil mélange entre Rohmer et Romero", Villemolle 81 est tout cela et bien plus encore. Tour à tout enquête sociologique affinée comme un cantal oublié sur un radiateur, critique acerbe d'un clochemerlisme inné mais narrable, tentative d'essai d'amorce d'une dénonciation de la malfaisance bon-enfant des sectes (les Zoltariens sont filmés sans filtre ni concessions), églogue ruralo-pastorale à haute teneur poétique, froide plongée dans les abysses de la campagne, le film, parfois peut-être un peu trop goresque, lève un pan, non, deux, lève donc un pan-pan sur la part maudite de l'homo villemollus. Rien ne nous est épargné, dans la grande tradition du crédit agricole.
La satire est sèche, mais le regard frisé. On pleure, on rit, on va chercher des chips dans la cuisine, on se mouche, et l'on a envie, pour la première fois, d'être aux côtés de ceux qui peinent et souffrent, non pas tant pour la secourir que pour recueillir les vestiges tarnesques de sa déréliction, s'emporta-t-il, en proie à une crise de botulisme. Mais le film n'en reste pas au stade primaire de l'enquête des origines, il bascule très vite – enfin, pas si vite que ça… – dans l'horreur et aussi, avouons-le, l'épouvante. En effet, suite à l'atterrissage d'un objet puant non identifié dont la forme informe évoque une cervelle présidentielle, la malédiction et la gangrène morale s'abattent sur nos vils— pardon: sur nos villageois, et voilà qu'une vague de zombisme s'empare des corps, entraînant dans sa chute horizontale un tsunami de cannibalisme. N'écoutant que son courage, la caméra, plus vertovienne que jamais, continue de tourner, dans un style blèro-ouitchien assez pimpant. Séquence émotion, quand l'ancien magicien aux jambes sciées par des psychotiques (on vous expliquera…) retrouve l'usage de la claudication avec une agrafeuse mécanique (on n'en dira pas plus, ni mieux).
Parfois insoutenables, les images font mouche, que dis-je, sont mouches, bourdonnantes et zélées, planant au-dessus de nos consciences aguerries par l'hydromel local, une boisson revigorante qui porte le coquet surnom de "sang-ria". Bref, 80 minutes de cinéma-vérité mâtinée de télé-réalité, assaisonné d'une lichée de vidéo-authenticité. Un film à regarder en famille, devant une calzone froide, les pieds sur la table et les mains où bon vous semble. Attention: il y a un warning important. Certaines scènes peuvent heurter de plein fouet la sensibilité des aficionados des hamsters, lesquels entrent pour cent pour cent dans la composition de la saucisse locale. Mais bon, ces petites bêtes l'ont bien cherché. Le film est en HD (honte directe), en dolby SR (sans retour), il est réalisé par Winschluss (qui s'appelle dans la vie vraie Vincent Paronnaud et qui est fou), et écrit par Winschluss (qui s'appelle dans la vie vraie Vincent Paronnaud et qui est fou) et Frédéric Felder (qui doit être aussi pas mal barré). Les acteurs, tous merveilleux et, espère-t-on, payés à proportion, sont dans l'ordre analphabétique: Frédéric Felder, Blutch, Frédéric Lathérade, Frédérique Arnoux, Hélène Larouye, etc. C'est une production Les Requins Marteaux, le FIBD (!) d'Angoulême, Kidam, Ferraille. Il y a des effets spéciaux spécialement défectueux, l'hémoglobine coule à feu et à sang, le rire jaillit des boîtes crâniennes, l'émotion est un rendez-vous qui sent la blind-date, c'est beau, c'est humain, c'est en DVD et c'est une bonne raison de ne plus désespérer la France et son terrible terroir. Seul bémol: l'absence de sous-titres pour bipolaires.
Ah, j'oubliais, la devise de la ville molle: "Villemolle, j'en suis folle!" (On vous aura prévenus, c'est pas faute de le dire.)

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