mercredi 29 septembre 2010

Le silence de Pandore


Le train, arrêté, se change en boîte. Encapsulée, la parole bâille, puis bée, puis les mots sortent. D’abord le mouvement, puis l’immobilité. Un incident survient, invisible, qui s’empare de l’extériorité pour paralyser l’intériorité. Bloqué, le corps se livre à la parole. Et voilà le narrateur conçu par Eric Pessan lancé dans un monologue qui se veut, se voudrait dialogue, puisqu’il est adressé à une femme, inconnue mais proche, dans ce train arrêté en rase campagne, rase comme la table où tout peut recommencer, voilà le narrateur sommé par sa fatigue et son isolement, de parler, de décrire cet autre réel que chacun transbahute en ahanant silencieusement. C’est un livre plein de chaos, de cahots, aussi, de tiroirs coincés, dans lesquels roulent, au gré des oscillations du texte, des souvenirs chargés d’images, prêts à fuser. Une douille, tiède, dans la poche ; des centaines de récits, encore brûlants, dans la tête.

Un peu comme le narrateur du Zone de Mathias Enard, le personnage projeté par Pessan est en bout de course, sa vie-trajectoire a atteint certaines limites, et, telle la flèche de Zénon, il nous est donné d’en voir, dans l’instant arrêté que figure le train figé sur ses rails, un segment, un fragment. Dehors, derrière la vitre impénétrable, des « champs gras », une « terre nivelée » ; sous les roues, peut-être, une « dépouille hachée pulvérisée broyée » — incident de personne, selon la SNCF. Donc, parler, non pas raconter d’emblée sa vie, mais tous ce qui s’y est accumulé, sous forme de récits, d’aveux, de témoignages, puisque celui qui parle anime des ateliers d’écriture, scribe endolori, qui ne voit plus dans la nuit que « de petites lucioles ».

L’homme revient de Chypre, et de cette île divisée, balafrée, il rapporte diverses choses, dont une douille qui est comme la concrétisation d’un violent mouvement compressé. Et toutes les histoires qui lui ont été confiées au cours des ans sont, à leur façon, des impacts, dont il sent bien qu’il doit chanter l’antique énergie.

La voix part donc de Chypre, et sa parabole va entraîner le lecteur jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la blessure, la vraie, celle qui ne s’est pas refermée, malgré les innombrables épaisseurs de récits accumulés, toutes ces confessions malhabiles recueillies au cours d’ateliers d’écriture, d’ateliers de rencontres. Mille et une nuits, contées en échange de rien, sans doute, puisque le narrateur n’attend pas grand-chose de la femme qui l’écoute, hormis l’éventuelle chaleur de sa présence provisoire.

« C’est la nuit de la grande vivisection », est-il écrit à un moment. Et dans ce train paralysé au milieu de nulle part, le scalpel de Pessan semble de plus en plus affûté, comme s’il s’agissait d’extraire, du fin fond des replis d’une plaie secrète, la balle intérieure qu’appelle cette douille léguée par un presque inconnu, quelque part à Chypre, permettant ainsi que se rejoignent, dans l’abstraction d’un trajet nié, tous les récits du monde et la douleur singulière d’un homme.

Cette faculté à écouter les autres, le narrateur va en traquer la noire origine, afin que le faisceau des récits brassés puisse enfin passer par le chas meurtri de cette origine, quand celui qui écoute s’est senti à la fois otage de la parole et légataire d’une souffrance.

Le train ? S’il redémarre ? L’incident ? S’il est clos ? La personne ? La personne impliquée dans l’incident? Mais quel lecteur peut s’estimer indemne après une lecture ?

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Eric Pessan, Incident de Personne, Albin Michel, 15 €

jeudi 23 septembre 2010

Houellebecq: un consensus… dur à avaler

Michel Houellebecq, l’écrivain que le monde entier nous envie, s’impose, avec La Carte et le Territoire, comme notre Balzac, et son roman s’impose, dans toute son ampleur et son désespoir, comme le grand roman de la rentrée – oui, enfin un roman sur la littérature quand on s’y attelle sérieusementIl quitta son pantalon et son pull », p.18). Héros de la littérature contemporaine, mais également l’un des grands observateurs de notre époque (« c’est bien peu de chose, quand même, les relations humaines », p.23), Michel Houellebecq est le romancier le plus intéressant aujourd’hui (« il semblait que les secondes, et même les minutes, s’écoulassent avec une foudroyante rapidité », p. 25), un ethnologue percutant de notre modernité (« l’insatisfaction le reprit, plus amère encore », p. 29 ; « beaucoup de régions, pour ce qu’il en savait, présentaient un intérêt réel », p. 95)), doublé d’un témoin à l’œil aiguisé de ce début du XXIème siècle (« La beauté des fleurs est triste parce que les fleurs sont fragiles, et destinées à la mort, comme toute chose sur Terre bien sûr mais elles toute particulièrement », p. 36). Faisant montre de modestie et de sobriété, l’écrivain a du génie (« Les journées étaient belles et uniformément chaudes », p. 42 ; « son cerveau ne parvenait à formuler aucune pensée hormis quand même la surprise de ce que l’image de ses anciens camarades ait aussi complètement disparu de sa mémoire », p. 64), et ce génie c’est sa capacité à saisir en même temps l’écume et le sens de notre époque (« ses jambes étaient incroyablement longues et fines », p. 70). Souvent hilarant, son portrait de lui-même nous rappelle que lorsqu’un livre fait rire, Dieu est tout près ; c’est donc, de la part de notre champion réaliste, un avant-goût d’infini (« les femmes exagérément plantureuses n’intéressaient plus que quelques Africains et quelques pervers », p. 73 ; « un banc de brume flottait sur les eaux, réfractant les rayons du soleil couchant », p. 114). Disons-le tout net : La Carte et le Territoire est un page turner redoutablement efficace (« Il ouvrit largement les bras pour l’accueillir ; c’est peu de dire qu’il rayonnait », p.90), et si Houellebecq est le seul auteur à avoir su révéler notre monde avec autant d’acuité et de sensibilité, c’est parce que son dernier roman est un roman total, tour à tour bilan de l’état du monde et autoportrait. Ceux qui liront ce labyrinthe métaphysique sidérant de maîtrise, signé par le meilleur écrivain de son temps, y retrouveront la quintessence de la musique houellebecquienne (« Jed trébucha dans une poussette » ; « il faisait halte pour s’orienter dans une brasserie », p.114). Certes, La Carte et le Territoire est un roman à la structure complexe et vertigineuse, mais c’est aussi un roman puissant, plein de brillantes intuitions (« la fortune ne rend heureux que ceux qui ont toujours connu une certaine aisance », p. 396), palpitant et profond (« les années, comme on dit, passèrent », p. 410), qu’on peut dores et déjà qualifier de pièce la plus aboutie d’une œuvre déjà considérable. A tous égards, un conte acide qui bouscule les idées reçues et dans lequel on entend, à chaque page, une musique rarissime (« il fut soudain saisi d’un trouble sentiment de familiarité », p. 114 ; « la surface gigantesque et ridée de la mer », p. 133). Il convient de le rappeler : Houellebecq ose ce que personne ne fait et fait ce que personne n’ose, il nous offre un monument de mots avec ce très grand roman comme il en arrive rarement, comme il vient de nous arriver, nous laissant seul avec ce chef d’œuvre c’était aussi beau qu’un Cézanne, ou que n’importe quoi », p. 38) dont on n’a pas fini d’explorer tous les recoins («’Je vous ennuie ?’ s’interrompit-elle soudain », p.69).


[Le texte que vous venez de lire est exclusivement constitué de citations de presse et d'extraits du livre de Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire]

…Bienvenue dans la réalité…

mercredi 22 septembre 2010

CosmoZ à l'Arbre à Lettres, jeudi 30 septembre à 19h, 14 rue Boulard, 75014

La librairie L'Arbre à LettreZ,
14 rue Boulard, Paris 75014
vous invitent à une

******Zoirée CosmoZ******

le jeudi 30 Zeptembre à 19h


Olivier Renault paZZera ClaroZ
au grill de ZeZ pertinenteZ queZtionZ
et deZ extraitZ du livre Zeront luZ

à haute et intelligible voix par
l'auteur et Marion Laine.

Venez beaucoup!



vendredi 17 septembre 2010

Maux d'auteur : Diego Vecchio


Paru en 2006 et traduit récemment par Denis Amutio pour les éditions de l’Arbre Vengeur – un éditeur dont on peut, comme Les Allusifs, Quidam et quelques autres, tout déguster à l’aveuglette sans risque de déception –, Microbes, recueil de nouvelle de l’argentin basé à Paris Diego Vecchio, offre un de ces rares exemples d’ensemble de parties obsédées par un même tout. Ici, en l’occurrence, le motif moteur n’est autre que la pathologie, que Vecchio traite avec une ingéniosité qui semble convoquer à la fois Borgès et Villiers de l’Isle-Adam, Chesterton et Horacio Quiroga.

Blason de maux interlopes, Microbes procède selon des logiques aussi farfelues qu’inéluctables, nous décrivant d’obscurs martyrs et de facétieuses monomanies, s’attachant à des destins de freaks luttant contre un ennemi intérieur qui fait à la fois leur singularité et leur malheur. Ici, l’art de la nouvelle est portée à un degré de formication [sic] extrême, comme si la santé était le fameux membre fantôme dont le patient éprouve le vague remuement, au-delà de la sphère tyrannique de son affliction. Ici, tous les Diafoirus du monde sont impuissants à comprendre et soigner les bizarreries de la nature, dont le but secret semble être la componction ou la folie. Evitant comme la peste les pirouettes finales ou les dénouements attendus, Vecchio, en patient jardinier des supplices, explore la perversité tantôt tragique tantôt facétieuse de dérèglements dotés d’un puissant potentiel narratif, alternant les scènes de grâce poétique et celles d’absurde hilarant.

Placé sous l’égide de Picabia, Microbes propose une plongée inédite dans les arcanes du corps souffrant, accompagné de possibles remèdes, évidemment farfelues. Ici, une écrivaine prévient divers maladies par des contes prenant pour thème la maladie en question (mais commet l’erreur de ne pas écrire de contes sur la tuberculose, avec les conséquences qu’on devine…). Là, un romancier à succès voit le tabac devenir le fléau de sa gloire, tant ses lecteurs, alertés des méfaits tabagiques par l’opinion, ont le sentiment de « [barboter] dans un bourbier de goudron ». Ailleurs, une jeune femme maigrit jusqu’à l’évanescence, malgré un certain fortune cookie aux vertus nutritives. On trouve également deux sœurs siamoises que le régime stalinien n’apprécie guère et dont l’une enfantera d’une fillette à la croissance inversée ; un auteur de whodonut dont le coma frustre considérablement le lectorat ; un Néo-Zélandais qui pleure des fourmis ; une Hongroise persuadée d’avoir éventé un complot floral, etc.

La plupart de ces nouvelles, par un effet de lorgnette inversée digne de Roussel, prennent plaisir à dépeindre des destins plus ou moins voués à l’écriture, comme si, ironie aidant, tout destin lettré se doublait d’une pathologie proportionnée. On ne serait pas surpris d’apprendre que l’auteur est atteint de talentite aiguë.

mercredi 15 septembre 2010

Tokyo Autel: David Peace au chevet des voix


[ AVIS À LA POPULATION : Jeudi 16 septembre à 19h30, David Peace, l’auteur de Tokyo ville occupée, traduit de l’anglais par Jean-Paul Gratias, Rivages/Thriller, sera à la librairie Atout-Livre (203 avenue Daumesnil, 75012) pour une rencontre publique]

C’est un livre incantatoire, un chemin de croix où l’ombre tombe, douze fois, où tremblent des bougies, douze bougies, comme autant de voix suffoquées, pour dire l’hécatombe, pas seulement celle du 26 janvier 1948, quand dix employés de banque périrent à Tokyo après avoir ingurgité du cyanure, mais celle d’une ville occupée, occupée à panser d’impensables plaies, au lendemain d’une nuit de feu. C’est l’histoire d’une Histoire oubliée, niée, hideuse et fuyante, racontée par douze spectres en quête d’un jour moins sale, c’est une enquête d’hiver, des cris dans la neige – l’envers d’une reddition.

Avec Tokyo ville occupée, David Peace, grand lecteur d’Ellroy (mais aussi de T.S. Eliot et de sa Terre vaine), nous offre, après son « quatuor rouge », un roman halluciné, un polar crépusculaire comme on en lit rarement, qui accomplit le triple exploit de mener de front une enquête policière inquiétante, de pratiquer une autopsie d’un des moments les plus noirs de l’Histoire japonaise et d’élaborer une construction élégiaque à la fois polyphonique et hypnotique, hantée par des échos de Rashomon.

Un écrivain court dans la nuit et trouve refuge sous la Porte noire… Ainsi débute Tokyo ville occupée, par une fuite éperdue, un moment d’intense désorientation. L’écrivain porte les membres épars non pas d’Osiris mais d’une histoire encore plus mutilée, et c’est dans ce lieu étrange qu’il va pouvoir relire les événements occultés du 26 janvier à la lueur de douze bougies, douze témoignages, douze voix que l’irrésolution de l’enquête a emprisonnées à jamais dans des limbes qui semblent le nom maudit de Tokyo.

Chacun va parler, se livrer à une troublante mélopée, pour raconter ce fameux 26 janvier, quand un employé des services sanitaires, sous prétexte d’une alerte à la dysenterie dans le quartier, fit avaler aux membres du personnel d’une banque une antidote qui se révéla en fait du cyanure. Simple crime machiavélique en vue de rafler quelques milliers de yen ? David Peace, par le truchement de ces douze voix qui sont comme les douze glas d’un jugement, déchire la trame du thriller pour révéler, au moyen d’une poétique incantatoire, le pan infâme d’une guerre secrète : la guerre bactériologique.

Si l’on dispose de pas mal d’informations sur les expériences conduites par les médecins nazis, en revanche, on connaît moins celles menées par l’énigmatique unité 731. C’est aux Russes qu’il revient d’avoir appréhender plusieurs savants japonais travaillant pour cette unité dirigée par le sinistre général Ishii. Ce sont eux qui informèrent l’état-major américain que ladite unité avait procédé à un nombre impressionnant d’expériences biologiques sur des sujets humains (parmi lesquels des prisonniers de guerre, russes, chinois, coréens, mandchous… et peut-être même américains). En septembre 45, la base secrète de Camp Detrick, USA (où en cheville avec la CIA l’armée mettait au point des techniques de contre-espionnage à teneur scientifique) envoya au Japon un certain Murray Sanders pour enquêter, mais ce dernier se fit passablement mener en bateau par un médecin du nom de Ryoichi Naito. Sanders piétina pendant neuf semaines, contracta la tuberculose et rentra au pays où il lutta contre la maladie pendant deux ans. Les Américains envoyèrent alors le colonel Arvo Thompson, lequel découvrit que contrairement aux rumeurs le général Shiro Ishii n’était pas mort mais vivait tranquillement dans le luxe de son domaine familial. Ishii, interrogé, nia fermement avoir pratiqué des expériences bactériologiques sur des sujets humains. En 1951, il semblerait que Thompson se soit fait sauter la cervelle dans un hôtel de Tokyo… Au final, Ishii se vit accorder l’immunité par ses ravisseurs américains ( !) – et le monde n’apprit les horreurs perpétrées par l’unité 731 que par la suite : on estime à 3000 le nombre de ses victimes (voire le double), des victimes désignées sous le nom de « singes ».

Cette histoire sans nom, Peace la réécrit sans trop la déformer, en faisant de Murray Sander et Arvo Thompson un seul homme, le lieutenant colonel Murray Thompson, une des douze voix du roman. Ce qui l’autorise à réfuter la thèse de la culpabilité de ce peinte, Hirasawa, qui fut inculpé en 50 et mourut en prison en… 1987. Car la technique utilisée par l’assassin de la banque impériale, liée à la fausse alerte de dysenterie, renvoie directement aux méthodes auxquelles recouraient les médecins de l’unité 731. Le dossier n’est donc pas clos, pas plus que les plaies ne sont refermées. Car en dépliant la carte de ce fait faussement divers, David Peace nous plonge dans les limbes d’un Tokyo vaincu, et chacune des voix qu’il convoque – invoque – dit, à sa façon, la détresse du pays vaincu, de la ville anéantie, des destins brisés. Difficile de rendre l’incroyable chœur orchestré par Peace à chaque chapitre autrement qu’en citant un long passage :

"Tap-tap, toc-toc, bang-bang : 'Qui est là ?'

Au tribunal, sur le banc des accusés, je suis un criminel. Un criminel de guerre. Je me réveille. Je me lève et je m’élève. Etape par étape. Mais je ne pleure pas. Je ne présente pas d’excuses. Je ne parle pas. Pour Dai Nippon, pour l’Empereur —

Bats-toi ! Bats-toi ! Bats-toi !

Pour vous, pour moi —

Bats-toi ! Bats-toi ! Bats-toi !

Au printemps, en été, en automne, en hiver, le matin, l’après-midi, le soir, et la nuit – quel que soit le moment – Dans la poussière, dans la boue, dans le désert, dans la jungle, dans les champs, dans la forêt, dans la montagne, dans les vallées, dans les rivières, dans les cours d’eau, dans les fermes, dans les villages, dans les faubourgs, dans les villes, dans les rues, dans les boutiques, dans les usines, dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les immeubles des administrations et dans les gares – quel que soit le lieu – qu’ils soient soldats, civils, hommes, femmes, enfants ou bébés, je les épouvante tous et on me fuit et on m’accuse —

Et il se peut qu’on me pende, il se peut qu’on m’emprisonne, il se peut qu’on me pardonne, ou il se peut qu’on me libère, car dans leurs tribunaux on ne trouve pas la justice, on ne trouve pas la vérité, on y trouve le châtiment, on y trouve la vengeance —

Car la Machine de Guerre poursuit sa route, elle ne s’arrête jamais, ne se repose jamais, ne dort jamais, elle avance encore et toujours, toujours elle se dresse, toujours elle se repaît, toujours elle dévore. Encore et toujours, la Machine de Guerre avance, écrasant les vainqueurs et les vaincus, elle avance, écrasant la justice et l’injustice, elle avance, et d’une main innocente à des mains coupables, à jamais coupables, l’argent passe, l’argent circule, l’argent se multiplie —

Leçon n°2 : les chiens se dévorent entre eux. »

Dans la ville occupée par la prose de David Peace, les voix échappent au carnage, les témoins communient, et l’Histoire, à genoux, regarde s’écouler le peu de sens qu’il lui reste.

lundi 13 septembre 2010

Ramon Sender: le goût du gué


On ne remerciera jamais assez les éditions Attila de nous faire (re-)découvrir l’œuvre immense – en pages comme en subtilité – de l’espagnol Ramon Sender. Mais est-il encore espagnol celui qui, se définissant comme profondément aragonais, devient vagabond madrilène, soldat en poste au Maroc, anarchiste et veuf, puis propagandiste aux Etats-Unis et directeur de revue à Paris, enfin écrivain retiré à Orsay, avant de s’installer au Mexique qu’il quittera finalement pour enseigner à Los Angeles et San Diego ? Oui, sûrement, mais habitant d’une Espagne défigurée puis pénitente, souillée par le franquisme et la délation, dont l’âme torturée trouvera asile dans sa très importante production, entre reportages et récits. Requiem pour un paysan espagnol, longtemps son œuvre la plus connue en France, et aujourd’hui rééditée dans la subtile traduction de Jean-Paul Cortada (qui date de 1976), est un récit tout entier livré à un mouvement de balancier, entre l’attente où se consume le curé Mosen Millan à l’heure de célébrer une messe particulière et ses souvenirs de la vie de Paco du Moulin, jeune paysan assassiné par les franquistes, et à qui est dédiée cette messe. Le curé, qui a porté Paco sur les fonts baptismaux, l’a eu comme enfant de chœur et a célébré son mariage est aussi le même homme qui l’a livré, dans l’espoir d’épargner sa vie, aux fascistes venus remettre de l’ordre dans le village. S’agit-il d’expier, ou simplement de se souvenir ? A quel degré bout la délation quand le feu n’épargne personne ? Peut-on s’avancer parmi les hommes sans prendre parti, une main tendue vers le forcené plutôt que levée vers l’hydre fasciste ?

La complexité des sentiments, et des sensations qu’elles déforment ; l’épanchement du trouble intérieur dans les détails de la vie commune ; la danse fragile des dialogues ; le sel des souvenirs auquel fait défaut la chair du présent — Ramon Sender sait doser tout cela avec une parcimonie, une patience et un art de la nuance absolus. Il prend son temps et, ce faisant, nous le restitue dans toute sa fracture, son improbable résurgence. Jamais il ne dénonce, lui qui fait de la délation le moteur complexe des âmes prises en étau. Qui était Paco ? comment est-il devenu ce qu’il fut à l’heure de prendre le maquis ? Comment l’idée des armes s’est-elle insinué en lui, d’abord sous son aube puis entre ses mains, avant la balle fatale qui l’étendit ? Le curé Mosen Millan, qui se sait coupable aux yeux des hommes autant qu’au regard de Dieu, mais qui ne veut pas faire de cette culpabilité le ressort de l’oubli ou de l’apitoiement sur soi, ce curé se sent devenir de plus en plus homme et de moins en moins curé, et c’est dans la pesée prudente de son être peccable qu’il cherche à atteindre la juste réminiscence du défunt.

Diffusant les points de vue au gré des personnages qui font tourner l’immobile manège du village, Ramon Sender condense une vie en une semaine sainte, et un sacrement en une expiation. Le judas est légion, semble répéter les cloches de l’église, et tandis que la Jerronima égrène ses sorts en affable sorcière, que les pauvres peuvent rêver autre chose qu’un destin humide dans les grottes de la région, de jeunes fils de notables n’hésitent pas à rappeler que les terres appartiennent à ceux qui les contemplent de haut.

Requiem en sourdine mais hagiographie d’un martyr, à la fois confession pénitente et œuvre de mémoire, le récit de Sender sait doser les distances avec la minutie d’un chimiste des affects, sans jamais égayer l’attention ni la focaliser sur un point trop sensible. L’expiation, soit – mais pas à n’importe quel prix, et le curé refusera jusqu’au bout l’obole de ceux qui conspirèrent à éliminer Paco, et avec lui l’espoir de la république espagnole.

Les éditions Attila font suivre ce court roman d’un texte inédit, intitulé Le Gué, non moins poignant. Narrant l’histoire de deux sœurs, dont l’une porte un pesant secret qui l’attire et le retient au centre d’un gué où elles vont battre le linge, Le Gué pourrait donner lieu à une analyse deleuzo-guattarienne tant il implique un devenir-animal, une ligne de fuite, un devenir animal, une ritournelle, etc. Le thème de la délation y est repris, mais cette fois-ci le motif de l’aveu, transformé en pur message que la nature brouille à l’envi, l’emporte, et le final offre une des visions de danse macabre les moins macabres qui soient, aux lignes pures, quasi hypnotiques. Une magnifique leçon de géométrie sensible par un écrivain dont on a hâte de lire les autres livres aux éditions Attila, qui nous annoncent déjà un titre, L’Empire d’un homme, œuvre d’exil postérieure à 1940.

Ramon Sender, Requiem pour un paysan espagnol, suivi de Le Gué, traduits respectivement par Jean-Paul Cortada et Jean-Pierre Ressot, accompagné d’illustration d’Anne Careil, éditions Attila, 15 euros

dimanche 12 septembre 2010

CosmoZ au Petit Palais

Dans le Cycle "Les Mercredis littéraires au Petit-Palais", Claro s’entretiendra avec Alain Nicolas, critique littéraire, responsable des pages Livres à L’Humanité, à l'occasion de la parution de CosmoZ (éd. Actes Sud).

Mercredi 15 septembre, auditorium, de 13h à 14h30

vendredi 10 septembre 2010

Volodine : un singulier pluriel


Il serait plaisant d’envisager Ecrivains comme une hagiographie de figures plus ou moins angéliques, tantôt majeures tantôt mineures, censées illustrer sur le mode plutarquien ceux et celles qui, dans la mouvance du post-exotisme, surent opposer les lettres au néant. Mais ce n’est point l’exemplarité qui est ici visé – plutôt la singularité. Si la mémoire est péril, et le temps carnage, alors Volodine sait, dans l’effacement de sa voix et l’humour de sa présence spectrale, donner chair et dimension aux forces têtues de la trace. En sept chapitres qui sont tout sauf des tableaux, il réinvente, au filtre de l’histoire et de la souffrance, sept entreprises de résistance qui forment les sept flancs d’un anti-Parnasse. Sept frictions indépendantes, avec la mort pour ultime grattoir.

On peut d’emblée distinguer un désir de distinction, un affranchissement d’avec la figure un peu veule du scribe telle que nous la connaissons. L’écrivain post-exotique a tôt lâché la plume pour la grenade, se méfiant des « flatteries », des « petites tapes sur l’épaule », des friandises et [des] babioles que les puissants distribuent à leurs serviteurs », « énumérant les morts et les mortes et refusant de les trahir ». Mais parler pour les morts ne signifie pas substituer sa voix aux cris des défunts, non, chez Volodine, le sens du calvaire ne s’accompagne pas d’une usurpation de combat, il devient moteur, dynamique d’une fusion condition d’une forme active de transmigration. Celui qui parle, parle au-delà de la damnation, il ne déblatère pas au nom des vaincus, mais prolonge leur défaite dans un chant-témoin.

Comment écrit-on ? Quelle pulsion nous pousse à ne pas taire tout ce qui semble inexprimé ? Quel crédit accorde-t-on à sa propre volonté de dire ? L’écrivain tel que l’énonce Volodine est une solitude qui n’a même plus le luxe du romantisme ni la foi de l’inspiré. Il écrit contre le vent et contre la marée, mais avec leur entêtement. Qu’il s’agisse de Mathias Olbane purgeant vingt-six ans d’emprisonnement pour mitraillage intempestif ou de Linda Woo, incarcérée rêvant de steppes et distillant ses leçons de révolte ; ou encore de cet homme interrogé et torturé par deux insanes qui conquiert sa liberté dans le souvenir du premier cahier étrenné ; que l’on suive le destin contrarié de Bogdan Tarassiev et son obsession pour les personnages marqués d’un W quasi écarlates ou qu’on s’attarde sur l’agonie différée de Maria Trois-Cent-Treize, venue affronter avec sa seule nudité un tribunal difforme ; qu’un certain Nikita Kouriline soit contraint de défragmenter l’heure de sa naissance ou que l’auteur de "Rendez-vous chez les Boyols" se lancent dans de fort peu orthodoxes remerciements – on retrouve la même énergie brisée, le même inconfort revendiqué, ce travail d’échos, tout en écorchures et insistances, et ce souci de ne jamais laisser le désir d’œuvre l’emporter sur les coups à porter et rendre.

Les écrivains dépeints ici par Volodine n’ont connu que l’échec, ni renommée louable ni vaste diffusion, peu de lecteurs et quantité de plaies, ils se sont accrochés à leurs projets comme des doigts aux détentes d’armes à jamais enrayées, pour ne pas céder, pour mieux rester debout malgré l’exterminante stupidité du monde.

Dans « Comancer », le protagoniste troque la chaise où deux fous le torturent pour celle, plus lointaine dans le temps, où, écolier instable, il découvrait, en rimbaldien sourd, la magique étude du malheur que nul n’élude, et le feu de la réminiscence l’aide à crépiter quelque temps encore dans l’insoutenable présent de la Question, il lutte contre le réseau fragile de ces « fils de la Vierge » dont la beauté et le mystère le détournaient de sa vocation d’écriture, il revit dans sa mémoire ce travail d’abstraction au monde (mais pour le monde) qu’inventait alors « la tiédeur du crayon gras, noir, sur lequel il crispait les doigts, et la sensation de fierté et d’inéluctabilité qui lui incendiait l’arrière des globes oculaires, comme si sous son crâne gisaient des braises ».

Il faudrait parler, aussi, de l’humour de Volodine, de son sourire de chat cheshirien niché ici et là, de sa façon de changer les affects en farces et les crédos en ritournelles. Dans la nouvelle intitulée « Remerciements », un écrivain salue ainsi Liena Babenko :

« Linea Babenko a gardienné mes affaires de toilette et mon carnet d’adresses pendant mon expédition dans la zone interdite de Tchernobyl. Après une douche réparatrice prise chez Liena Babenko, j’ai retrouvé avec plaisir mon après-rasage, ainsi que des draps propres entre lesquels elle s’est aussitôt glissée, avec un grand à-propos et sans me reprocher aucunement ma radioactivité. »

Comme souvent chez Volodine, le personnage est en porte-à-faux avec les conditions même de son existence, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, en passant par ses luttes, sévices et idéaux. Rien ne peut jamais concorder, hormis l’étincelle de rébellion. Ainsi, dans « Demain aura été un beau dimanche », Nikita Kouriline a droit au récit sans cesse répété de sa naissance par sa grand-mère : une naissance sanglante, au cours de laquelle meurt sa mère, tandis que sonnent de trop nombreux glas. Et Nikita de tenter de percer à jour le mystère de ces cloches, qui dans la Russie de 1938 ne devraient pas sonner, anti-religion oblige. Que dissimule ce tintamarre dominical ? Etait-ce vraiment un dimanche ? Nikita enquête, puis découvre la vérité. Et tout l’art de Volodine semble se concentrer alors dans l’ambivalence de l’expression : « un autre son de cloche ».

Ce qu’il fait, livre après livre : un autre sens de la littérature. Un avant-glas, peut-être.

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Antoine Volodine, Ecrivains, coll. Fiction & Cie, éd. du Seuil

mercredi 8 septembre 2010

Point Nagasaki (DeLillo, Faye)


Il fut un temps où Norman Bates nous apparaissait comme une menace tangible, certes doubles, certes ambiguë, mais dont la présence intermittente dans la maison de la mort suffisait à nous glacer les sangs. La peur, telle que la concevait Hitchcock, provenait d’un frottement intolérable entre une attente spiralée et un surgissement frontal, de leur inévitable rencontre. Imaginez maintenant que Psychose soit étiré, non tel un fil en quête de rupture, mais telle une pâte élastique dont, paradoxalement, l’aplanissement extrême dévoilera le moindre pli. Un pli aplati, quel mystère. Ainsi début le dernier roman paru de Don DeLillo : par la projection dans un musée new-yorkais de 24 Hours Psycho, installation vidéo (authentique) de Douglas Gordon, qui marqua l’été 2006 du MoMa. Un homme vient tous les jours voir les progrès des images, et peut-être guette-t-il quelque chose, alors qu’en fait c’est nous, à notre ainsi, qui guettons quelque chose – car dans le non-événement, comme dans cette pluie que chasse les essuie-glaces d’une Janet Leigh en fuite, gît l’instant de trop, l’instant caché dans la trame invraisemblablement extensible du Temps. D’autres personnes traversent la salle où est projeté Psychose. Dont, mais nous l’ignorons, nous. L’installation nous a happés, et nous n’avons pas vu cette évidence que le ralenti a patiemment déformé : une femme disparaît.

On retrouvera à la fin du livre cette scène inaugurale, titrée Anonymat 2, quand le cycle se referme. Mais entretemps, nous nous serons égarés dans le désert, le désert d’une étrange rencontre, celle entre un cinéaste et sa proie. La proie est un diable, ou un sage, il faut imaginer le colonel Kurz, un faux ermite, un vrai ponte du Pentagone : Richard Elster. Le cinéaste veut capter sa parole, filmer son visage, entendre se dévider le fil d’une vérité qui ne peut être dite : pourquoi la guerre, pourquoi ici, ou là, maintenant, hier. Triptyque étonnant que celui qui coince un désert entre deux salles de musée, un film qui ne se fait pas entre deux projections qui n’en finissent pas, une femme – la fille d’Elster – qui disparaît entre deux femmes qui meurent (la même femme, jouée par Leigh).

Comme si la violence s’était déplacée, du motel au monde, et que la seule confrontation avec les puissances non pas du mal mais de la froide décision suffisait à prolonger la chaîne des victimes. Pendant qu’un homme essaie de comprendre l’art de la guerre, une femme, qui n’est déjà plus Janet Leigh, n’en finit pas de disparaître, au nom d’une folie de moins en moins discernable.

Le roman de Don DeLillo reste mystérieux, jouant lui aussi la carte de l’installation, s’ingéniant à dilater autre chose que l’intrigue, davantage que notre lecture : le temps que met le silence à tout irradier. (Pause)

Curieusement, il se produit quelque chose d’analogue dans le roman d’Eric Faye, Nagasaki. Ici, une femme disparaît, non pas dans le désert californien mais dans le placard d’un Japonais. Il y a, là encore, un avant et un après, avant l’arrivée de la femme et après son arrestation, puisqu’il s’agit, dans ce roman, d’une chômeuse en fin de droit qui décide de vivre chez un particulier pendant son absence, mais aussi quand il est là, recluse dans l’oshiiré, la nuit. Clandestine à demeure, fausse épouse invisible, vestale indésirée, peu importe, elle occupe un espace qui est tout sauf l’open space où travaille en journée son hôte involontaire. Le livre s’intitule Nagasaki, et ce pour plus d’une raison comme l’apprendra le lecteur. Partant d’un fait divers authentique, Eric Faye se garde bien d’en faire une métaphore, même s’il laisse décrire à la situation ce qu’il faut de cercles concentriques, tantôt vers l’intérieur, tantôt vers l’extérieur.

Quelqu’un vivait chez nous, avec nous, et nous ne le savions pas. Puis il disparaît. Quelque chose l’a chassé. La guerre, la crise, l’indifférence, tout cela et rien de cela.

Car dans ces deux livres, une question rôde. Alors que tout semble tendre vers un « point oméga », un devenir autre que humain – l’au-delà de la guerre/crise –, on a l’impression d’entendre un chant ténu, une voix cassée qui demanderait : quand ? quand est-ce qu’a commencé cette dérive, ce que la femme dans le placard de Faye appelle un « glissement de terrain » – «l’éboulement poursuivait son œuvre », dit-elle, et le personnage para-martial de DeLillo parle à plusieurs reprises de « se vider de son être »…

Deux livres dérivant imperceptiblement dans une fausse quiétude, et tous deux accusant sur eux le poids d’une ombre portée, énorme, encore retentissante, d’une explosion qui d’atomique est devenue moléculaire.

Don DeLillo, Point oméga, Actes Sud ; Eric Faye, Nagasaki, éd. Stock

mardi 7 septembre 2010

CosmoZ à Atout-Livre

Vendredi 10 septembre à 19h30

à la librairie Atout-Livre

203 bis avenue Daumesnil, 75012

Rencontre - lecture avec Claro

autour de son roman CosmoZ (Actes Sud)

sous la férule vigilante de Fabrice O. Colin & Jérôme Z. Dayre









"Il y a mille façons de raconter la folie de la première moitié du 20ème siècle, historiques, philosophiques ou romanesques. CosmoZ n’est pas une version de plus, sa lecture nous permet d’avoir à la fois une vision panoramique, en Cinemascope©, d’être l’œil du cyclone et une vision macroscopique, au cœur de la matière, à l’échelle moléculaire de ce gigantesque maelström.

Dorothy, Nick, Oscar, Avram, Eizik, arrachés au monde magique du Magicien d’Oz, incarnent ce rêve d’humanité : la recherche d’un monde meilleur, du paradis perdu. Ils courent sans cesse d’un continent à l’autre subissant la guerre, la discrimination, la déportation dans l’espoir de fouler encore une fois la route pavée de briques jaunes.

La naissance du cinéma accompagne le récit des tranchées de 14-18 jusqu’aux expériences nucléaires à la veille d’Hiroshima, le gris sous toutes ses nuances devient couleur, le muet devient parlant et le monde se transforme, définitivement, perdant ses dernières pudeurs son dernier fond de naïveté.

D’Oz, le conte pour enfants, naît CosmoZ, le conte pour adultes, notre propre histoire, honteuse et terrible, manège infernal que Claro nous rend, de pirouettes en tornades, enchanté." (Jérôme Dayre)


L’essaim d’esprits : priez Fresán

Rodrigo Fresán est un problème, un peu comme Roberto Bolaño est une solution. Tous deux partagent cette tendance à laisser couler l’encre sur une page qu’ils ont au préalable gravée de multiples failles, comme une litho en perpétuelle expansion. Tous deux partagent également ce goût pour la mise en scène du questionnement : écrivant, ils s’interrogent sur les motivations, et font de l’ambiguïté des mobiles et de la confusion des buts le double balancier d’une narration qui, par fidélité à la vie, n’ose mûrir que dans l’explosion, la dissémination. Mais là où Bolaño s’efforce de garder une ligne (faussement claire) avec la poésie pour horizon et l’histoire pour bas-côté, Fresán, lui, semble tout entier l’apôtre du principe d’incertitude cher à Heisenberg. C’est particulièrement frappant dans Vies de saints, un texte de 1993, réédité en 2005 avec quelques altérations, et que publient en cette rentrée les indispensables éditions du Passage du Nord-Ouest dans une traduction de Serge Mestre.

Vies de saints n’est ni un roman ni un recueil de nouvelles, plutôt une sorte d’anti-chrestomathie qui explorerait la parallèle irréalité d’une autre forme de sainteté, à condition bien sûr de laisser le mot « saint » englober toute une panoplie de freaks, depuis l’illuminé jusqu’au serial killer. L’ouvrage atteint donc très vite, dans ses parties et dans son tout, une dimension monstrueuse, et est tout entier baigné dans un ton apocalyptique – au sens où les protagonistes, dont le narrateur, sont la proie plus ou moins consentante de « révélations ».

Alors, oui, c’est compliqué, Fresán, parce que, comme il le dit lui-même dans une post-face intitulé « Etat de grâce », son entreprise donne souvent l’impression qu’il est « en train de faire des claquettes sur des sables mouvants ». Car Fresan se méfie du narratif comme d’un virus susceptible de diffuser la santé au texte. Aussi y a-t-il chez cet auteur un conflit permanent entre l’imaginaire et la faction, le premier se concevant assez bizarrement comme l’ennemi héréditaire du second. Et au milieu, volcanique, irradiée, coule l’écriture de Fresán, qui fait de lui un Lautréamont pop assez redoutable, concasseur d’épiphanies et cannibale de la métaphore.

Problème, donc, puisque son appétence immodérée pour l’indécidable – tout ce qui advient n’est peut-être pas advenu, un peu comme la résurrection et le retour de l’être aimé – le conduit à instaurer une tension permanente, à donner le sentiment que tout est événement, que tout fait événement, depuis la moindre pensée volatile jusqu’à la révélation la plus fracassante. L’aisance avec laquelle il produit des situations improbables, insinue des comparaisons surréelles et assène des paradoxes flottants n’a d’égal que son refus d’entrer véritablement, et de nous permettre d’entrer véritablement, dans la matrice furibonde de son texte. Il en découle deux faits assez perturbants : tout d’abord, l’intensité des affects qu’il déploie, malgré une ébullition permanente, échoue, selon moi, à créer de l’émotion ; ensuite, cette même tension semble s’interdire, pour une raison inconnue, un élément qui pourrait sans doute doper la machine : l’humour.

Le lisant, on songe souvent à Tom Robbins (plus qu’à Pynchon…), auteur que Fresán crédite d’ailleurs dans ses sources d’inspiration (notamment le youplaboumesque Another Roadside Attraction), mais un Tom Robbins qui, ayant tout fait éclater des perspectives, se voit coupé conséquemment de la possibilité du rire. L’absurde mis au point par Fresán éblouit plus qu’il ne gondole. Il n’a pas la trempe métallique d’un Kafka ni la profondeur vibratile d’un Pynchon, c’est encore autre chose, d’une puissance toute atomique, certes, mais qui, étrangement, me semble, disons, autophage.

Mais ces critiques sont sans doute injustes, et nées d’une vision peut-être trop grevée par le comparatisme. Mantra et La Vitesse des choses étaient, chacun à leur façon, deux livres-machines redoutables, et la plus grande qualité de Fresán est certainement sa décision de revisiter régulièrement ses propres textes, de leur ajouter des extensions apocryphes, de les remettre en route en essayant d’autres régimes. Il n’empêche qu’une once de dérision et quelques zestes de potacherie permettraient, qui sait, d’affranchir ces textes de leur intransigeante sidération. Mais il n’est pas sûr que la structure moléculaire adoptée par l’auteur autorise ce que Fresán appellerait probablement « le rire du papillon ».

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Rodrigo Fresán, Vie des saints, éd. Passage du Nord-Ouest

lundi 6 septembre 2010

De Gaulle, le retour



Suite à un précédent post où j'évoquais la mise au programme en classe terminale des Mémoires de Guerre du Général de Gaulle, j'ai reçu cet été le mail suivant, écrit par un lycéen qui fait dans quelques heures sa rentrée dans un lycée parisien, mail que je livre in extenso, et qui peut-être en intéressera plus d'un :

Je suis un lycéen moyen qui a lu les 531 pages de Charles De Gaulle. J'appuie mon discours sur le fait que j'ai dix-sept ans et par conséquent l'axe de lecture qui fut le mien à peu de choses près risque d'être assez semblable à celui de la plupart des adolescent "littéraires" qui devront pour leur plus grand plaisir, je pense, avaler cet en-cas militaire. Or puisque tu "attends avec curiosité et impatience l’avis et la réaction des futurs bacheliers", Claro, je vais commencer par te donner le mien.

Indéniablement j'ai, à la lecture de ce livre, appris beaucoup de choses: tant sur l'état de la France au sortir de la guerre, tant sur les exploits accomplis par le Général pour redresser notre Gaule, que sur la politique des gouvernements britannique, américain, soviétique (et j'en passe) que sur le déroulement précis de la fin de la guerre et le rôle qu'y a joué la France. Le caractère et l'importance historique que peuvent contenir ces mémoires sont en effet indiscutables. Toutefois, si personne ne m'avait contraint (disons fortement incité puisque mon bac en dépend) à ouvrir ce livre, je l'aurais (étonnement) sans doute assez vite refermé, et je vais immédiatement donner une raison à ça : je me suis rendu compte que le seul moyen que j'aurais pour survivre à ces cinq cents pages de "littérature" serait de m'intéresser à leur caractère historique, ce que je n'ai pas manqué de faire ( si je m'étais en effet attaché à la beauté stylistique du rythme ternaire je ne serais sans doute pas là aujourd'hui pour écrire ce que j'écris), et ce faisant, je me suis vite aperçu que je n'avais pas, en tête, la moitié de la culture historique nécessaire à la compréhension de la plupart des phrases catégoriques de Charles De Gaulle. Le scepticisme (déjà présent je l'accorde) commence dès lors à prendre en moi des proportions grandissantes, puisqu'on sait bien que je suis lycéen et qu'on connaît de manière assez précise la culture historique qui est entre mes mains (qui à quelques exceptions près est supposée correspondre au programme d'histoire), pourquoi me donne-t-on un livre à lire dont on sait que je n'ai pas les rudiments historiques qui me permettront de le comprendre? Cette attitude eut pu être justifiée mais encore aurait-il fallu que nous l'étudiâmes avec un prof d'histoire (là sans doute l'exercice aurait pu être intéressant, à supposer encore qu'il soit donné en deuxième année de fac d'histoire), mais non, nous allons l'étudier avec un prof de littérature, ce qui nous amène au deuxième point, le caractère littéraire de cette "œuvre".

Je passerais rapidement sur ce point car beaucoup de personnes plus aptes que moi à la critique ont déjà donné leurs points de vue, mais, vu que j'ai pris la peine de lire ce bouquin du début jusqu'à la fin, j'aurai quand même deux ou trois petites choses à dire: hormis la description de l'avancée de l'armée Française dont on comprend (sans mal) qu'elle puisse être faite avec un vocabulaire militaire: "Comme les vagues pressées déferlent sur le navire en train de sombrer, ainsi les forces alliées submergent l'Allemagne en perdition", mise à part la description des affrontements gouvernementaux entre Alliés dont on comprend qu'ils puissent être faits à la manière d'un homme politique: "Mais la façon dont les Anglo-Saxons se comportaient à notre égard justifiait que nous jetions un pavé dans leur mare diplomatique.", y a-t-il un seul sujet d'ordre littéraire qui puisse permettre à Charles de Gaulle de laisser, à force de métaphores et de comparaisons sublimes, s'exprimer l'écrivain qui est en lui? Eh bien oui, il y a les cinq dernières pages ou notre Général évoque avec regret les années où il fut au pouvoir et ce qu'aurait alors pu faire la France si elle l'avait suivi, hormis inventer une nouvelle matière dans la catégorie littérature et humour et étudier le burlesque d'un ex-militaire nostalgique que faire sinon pleurer?...

Enfin je tâcherai de ne pas m'étendre sur le caractère partial de ce livre où l'auteur se cite à tous les paragraphes et parle de lui à la troisième personne, on s'étonne de la part d'un homme aussi concret et objectif que De Gaulle qu'il opte pour un parti pris aussi marqué. Enfin on ne s'étonne pas vraiment puisqu'on sait très bien que ce livre a été écrit dans l'unique espoir d'un retour au pouvoir, ce que l'homme politique insinue de manière très subtile vers la fin: "Vieil homme, recru d'épreuves, détaché des entreprises, sentant venir le froid éternel, mais jamais las de guetter dans l'ombre la lueur de l'espérance". Certes on pourra me répondre à ce dernier paragraphe (que je n'ai pas osé nommer invective vu sa violence mesurée) qu'il s'agit de Mémoires de guerre, le mot « mémoires » pouvant justifier le caractère partial, à ça je ne puis que répondre: si ces mémoires se veulent historiques, un peu plus d'impartialité serait sans doute de rigueur, si ces mémoires se veulent littéraire ... (...) ...

Une petite phrase quand même sur les camps de concentration auxquels le Général De Gaulle a lui aussi accordé une petite phrase, certes il ne s'agit pas de ça mais je me lamente de n'avoir trouvé parmi ces 500 pages sur la fin de la guerre qu'une seule petite phrase sur la plus grande honte de l'humanité (qui partage sa place avec beaucoup d'autres horreurs évidement), vu qu'il n'y en a qu'une (je sais que j'ai déjà pas mal insisté) je vais me permettre de la citer quand même: "Ici ou là, stupéfait d'horreur et d'indignation, ils découvrent les survivants et les charniers des camps de déportation."

Le petit détail aussi qu'est l'utilisation abusive du mot race: depuis Montaigne il est censé n'exister qu'une seul race, la race humaine, la race française ou européenne n'existe plus au XXème siècle, d'autant plus lorsqu'on combat Hitler.

Je dirai pour conclure que grâce à cette lecture je me suis bien rendu compte de l'importance de mes lacunes historiques, je suppose que c'est mon jeune âge qui m'a empêché de comprendre tout l'enjeu de ce livre, mais enfin puisque les (ø¡«¶{}®†ºî¬µ≤‹≈◊ß~∞÷≠‘) au pouvoir qui ont mis ce livre au programme connaissent mon âge, comment ont-ils pu croire que je réagirais autrement?

NB: Mon texte revêt par contre un caractère littéraire puisque je me suis imposée une contrainte d'écriture, celle de ne pas utiliser le mot "propagande".

dimanche 5 septembre 2010

Le coup du Kahn


Il y a des artistes sans œuvre, et sans doute des œuvres sans artiste, mais il existe aussi des êtres sans vie, pour lesquels usurper une identité c’est faire acte de présence, ou plutôt offrir à l’autre cette fameuse présence qui tient lieu d’existence. Désignée par l’autre (au sens de « design »), une femme s’improvise Anna, le temps d’une rencontre, non pour remplir le vide de son quotidien, car rien ne saurait saturer le cadre, mais pour accrocher, en quelque sorte, un clou dans le mur, et à ce clou une image. Devenue Anna, autrement dit palindrome, réversible, le personnage du court roman intitulé Alice Kahn peut désormais éprouver certains mouvements, certaines situations. Donnez une couleur au sang et il battra plus fort. Anna se fait donc passer pour Anna, auprès d’un William qui, humour oblige, a quelque chose d’une bonne poire. C’est une raison comme une autre pour une aventure à deux, d’autant plus que le monde dans lequel évoluent Anna et William est celui de l’art contemporain. Alors qui est Alice Kahn ? C’est une invention d’Anna, une artiste palimpseste qui peut surgir partout où l’art moderne sent sa substance s’estomper. Alice Kahn est celle qui ajoute : une œuvre accrochée en douce dans un musée, et hop, la collection s’enrichit, on n’y voit que du feu, tout ça tient à si peu. Anna est finalement comme Alice, elle s’ajoute aux œuvres-êtres qui transitent sur le mur de la rue. Elle s’intègre, se fond, indolemment obnubilé par la nécessaire évidence de rester invisible. Quitte à n’être pas différencié, autant se laisser additionner par l’inanité comptable du monde. Le nerf du roman, c’est l’usurpation, mais une usurpation passive, sans stratégie particulière, prendre une place qui est forcément vacante puisque toutes les places, par faute d’inattention, sont vacantes, même de façon intermittente. Anna va, vient, elle essaie des poses, des pauses, des postures, des impostures, seul importe ce léger mouvement qui fait qu’un geste peut devenir acte, pour peu qu’on le mette en perspective. En cent vingt-six pages, Pauline Klein en dit plus long, et le dit cent fois mieux, sur l’art perdu d’exister et l’existence perdue de l’art que Michel Houellebecq quand, se prenant pour Balzac.org, il croit innover en vulgarisant la vulgarité à force d’italiques plus penchés que des piliers de bistro. Si l’on peut noter entre La Carte et le territoire et Alice Kahn, quelques motifs communs, force est de reconnaître que chez Pauline Klein, le trait n’a pas besoin de remuer du croupion pour atteindre sa cible. Sa phrase dit ce qu’elle fait et fait ce qu’elle dit, et comme son personnage la maison qu’elle déconstruit n’a pas besoin de miroirs, elle, pour redonner sens aux reflets.
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Pauline Klein, Alice Kahn, éd. Allia, 6,10€

Asie ? Couché!

A l'heure où nos chères petites têtes blondes reprennent le chemin de l'école, il n'est pas incongru de se pencher sur les textes qu'on leur donne à lire, méditer et ne pas jeter. On ne va pas reprocher aux enseignants de recycler, parfois, les mêmes matériaux, c'est le principe même de la transmission du savoir – en revanche, il est assez incroyable de constater que certains profs utilisent un corpus qu'on peut s'estimer en droit de juger "obsolète" (pour ne pas entrer directement dans la polémique). Ainsi de ce texte, donné en pâture à un de mes enfants (CM1), fiche sommaire mais éloquente censée édifier, je suppose, le petit Français de la métropole sur ces êtres étranges qui vivent ailleurs. Je cite donc, verbatim, le début de ce texte photocopié (on aimerait dire "ronéotypé"…), sans plus ample commentaire, tant il en dit long sur… sur quoi? On l'ignore. L'âge de l'institutrice? Sa naïveté? Sa mémoire politique? Ah, Mendel, que de petits pois on écrase en ton nom, et comme l'on aimerait que le mot "race" ne soit rien d'autre que ce terme anglais qui veut dire "course" (et comme on aimerait que ce mot "course" ne soit rien d'autre que ce terme anglais qui veut dire "cours") – bref bref bref, un peu d'histoire:

"Allons en Asie, nous y verrons des rizières et d'autres petits amis de race jaune, très intéressants. Leur peau est jaune, leurs yeux sont placés un peu en oblique, leurs cheveux sont très noirs."
Bienvenue en 2010, terre des contrastes…

jeudi 2 septembre 2010

Fiat Lutz


Il faudrait arriver à parler du texte de Lutz Bassmann sans arrêter le regard aux seules formes déchiquetées des ruines, sans même aborder le topos apocalyptique, en retrait de ce paysage défait que l’auteur déplie désormais comme une carte d’un état majeur – oui, contourner l’écueil pour dire, peut-être, tout ce qui reste profondément vif dans ce travail. Car si LB ne semble disposé qu’à chanter l’après, c’est moins pour jouer les hérauts d’un quelconque bombardement imminent que pour nous rappeler que le chaos a déjà eu lieu, ici et là, hier et maintenant. Seule importe la question de la survie, ou des modalités de la disparition. Résister : ce verbe a encore mille déclinaisons devant lui, dans le dire, le geste, même le silence. Même la fuite. Surtout la fuite.

Les personnages qui peuplent Les aigles puent – comme, avant eux, les fantômes de Winnesburgh, Ohio, Spoon River Anthology d’Edgar Lee Masters, à l’instar du Riddley Walker de Russell Hoban – sont nés dans l’après comme dans un berceau pourri mais d’où peuvent monter des voix. Pour dire quoi. Que Kilroy was here ? Un des motifs/moteurs qui animent Les aigles puent est la ventriloquie, comme stratégie pour déporter la mort, afin que ricoche la parole pourtant carbonisée. Quand l’autre est nié, son retour demeure possible grâce à la ventriloquie qui produit contre toute attente un monologue extérieur, permet à nouveau le printemps du dialogue.

Confronté à une fusion douloureuse avec le « goudron indifférencié », le rescapé bassmannien résiste, survit, déplie sa propre mort – il veut témoigner, encore et encore, des formes qu’a prise un temps la légèreté humaine. On ne peut que penser à la fameuse phrase du poète américain Jerome Rothenberg : « After Auschwitz / there is only poetry ». Et donc, à coups de stèles friables, il s’agit de réactiver des narrats, de souffler sur des cendres, façon d’animer le golem, d’en extraire une dernière fois la possibilité du rire, des armes, aussi.

Une tribu d’éclopés, de sous-hommes, déjà vaincus, vont et viennent entre les pages, exposant leurs techniques de survie, racontant leurs dernières haltes. Ainsi de Benny Magadane, expert en l’art de la pétrification, « habitant de l’absence ». Ou de Golkar Omonenko, contraint de protéger un fils jugé anormal parce que né sans ailes. Car la magie n’est plus ici-bas, bien souvent, que source de ridicule, et les chamanes cachent peut-être des escrocs. En revanche, pénétrer la substance du monde, même sans espoir, reste un devoir, un désir. Griot déchu, sourd guérillero, passeur immobile : tous restent convoqués dans la mémoire, et la mémoire, dans le monde de Lutz, est un des derniers refuges de l’insurgé.

Il y a à un moment du livre un passage terrible, terrible et drôle, où il est expliqué que nous sommes des sacs. C’est Maroussia Vassiliani qui le dit, soucieuse de protéger ses ouailles de tout idéalisme, même si ça fait mal, même si l’image appelle la contestation, la verticalité et l’allant :

« Les sacs s’abîment à toute vitesse, et il arrive aussi qu’un mauvais coup du destin ou d’un ennemi les crève prématurément. Il arrive qu’avant l’avenir une lame les perce et les crève. Mais ce n’est pas de cela qu’il faut se préoccuper quand on parle des sacs, ne cessait de répéter Maroussia Vassiliani. La déchirure intervient toujours à un moment ou à un autre, il n’est pas nécessaire de la considérer avec effroi alors qu’elle n’est pas encore intervenue, et, quand elle intervient, il n’est pas nécessaire de sangloter sur le sac et son avenir foutu en l’air.

L’élément principal sur quoi réfléchir n’était pas la déchirure inévitable du sac, mais son étanchéité.

Le sac était solitaire, insignifiant et étanche, sans la moindre possibilité de devenir non solitaire, non insignifiant et non étanche. Qu’il se trouve dans un état de compagnonnage, en position nuptiale, noyé dans le torrent d’une cohue ou plongé dans la plus noire et désolante solitude, le sac devait comprendre que son étanchéité était sans remède. »

Après les hommes creux de TS Eliot, les hommes-sacs de Bassmann affrontent la question de la mort du contenu, et, « formes sans forme », se consolent de l’envol avec ce qu’ils ont sous la main, marchant « dans la mort », mais marchant quand même.

Lutz Bassmann, Les aigles puent, éd. Verdier, 16 €