mardi 24 août 2010

Mépris littéral: Bernhard anti-laurier.


Tout écrivain digne de ce nom, et à plus forte raison, indigne de celui-ci, devrait lire, ou du moins prétendre avoir lu – car la mauvaise foi a ici droit de cité – Mes Prix littéraires, dernier ouvrage paru du génialissime et néanmoins posthume Thomas Bernhard. Achevé en 1980, ce recueil de courts chapitres traitant des diverses distinctions dont écopa l’auteur de Gel a plus d’un mérite. Certes, l’exercice consistant à critiquer, pour ne pas dire moquer, des prix qu’on s’est vu discerner peut paraître périlleux, mais il faudrait être philistiniquement sourd et aveugle pour reprocher à Thomas Bernhard de cracher dans la soupe, car la soupe, précisément, il la prépare à sa façon et nous la fait boire, non comme on prend un bouillon, mais comme on sirote un philtre aux effets encore inconnus. Car ce que raille l’auteur, c’est moins l’inévitable ambiance « comices agricoles » qui sied à des cérémonies souvent parrainées par l’Etat (du moins est-ce le cas, semble-t-il, en Autriche) que la parcelle de vanité que s’autorise un écrivain ainsi que son besoin légitime de gratification sonnante, bien que, on s’en rend vite compte à la lecture de ces lignes, trébuchante.

Bernhard réussit le triple exploit de se gausser de pantalonnades dont il est le figurant et le mobile premier, de sonder les ambiguïtés de l’orgueil et d’entraîner le lecteur dans de solitaires digressions, où, au détour d’un trait cocasse, surgit l’émotion, comme si elle avait attendu que s’étiolent les applaudissements de rigueur pour, en toute ingénuité, nous présenter son pur visage.

Ce livre est une affaire de morale, et si cela ne va pas de soi, cela y finit, car c’est dans le soi qu’évolue et résiste Bernhard, pas tant dans l’ego vitreux à travers lequel autrui croit l’apercevoir, mais dans ce soi caverneux où les meubles qu’il faut déplacer doivent avant tout être fabriqué à la force du poignet et sans l’aide d’aucune lumière. La question pour l’auteur n’est donc pas tant de comprendre pourquoi ses pairs l’ont jugé « digne » de lauriers plus ou moins nauséabonds ou dotés, lui qui place ses mérites ailleurs que sur le terrain de la consécration officielle, mais plutôt d’effeuiller avec malice le fragile pissenlit de la vanité afin de laisser la conscience, dûment rabrouée, errer dans d’autres interzones autrement plus stimulantes que celle des remises de prix.

Et l’on retrouve alors, sous la plume aigre-douce de Bernhard, les divers orbes laissés par la pierre de solitude, cette manie faussement gênée d’autopsier certains souvenirs, ce refus d’honorer la concession d’un regard trop appuyé, et cet art funambule de la digression, du glissement, souvent intempestif, par lequel l’écrivain parvient non seulement à nous inoculer un rire venu d’ailleurs mais également à nous faire sentir la forêt derrière la branche où se pendre.

Dans son « discours lors de la remise du prix d’Etat autrichien », l’auteur de Béton le dit d’emblée, devant un auditoire dont on aurait aimé voir l’expression lentement fêlée :

« Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs,

Il n’y a rien à célébrer, rien à condamner, rien à dénoncer, mais il y a beaucoup de choses dérisoires : tout est dérisoire quand on songe à la mort. »

On peut aussi imaginer la noire jubilation qu’éprouva l’écrivain en prononçant ces mots.

1 commentaire:

  1. Salut Claro,


    je recherchais de l'info sur CosmoZ et j'ai trouvé que vous ecrivez a Fric Frac Club comme mon ami François Monti.

    J'ai envie de recevoir votre livre que je viens d'achetter sur Ibrelibro.

    Merci,

    Luna.

    RépondreSupprimer