mardi 22 décembre 2009

Brian Evenson in Paris

Brian Evenson, dont Lot49 sortira le prochain livre fin janvier, Père des Mensonges (cherche-midi éditeur), dans une traduction d'Héloïse Esquié, sera quelques jours à Paris en janvier. Ce sera l'occasion d'une lecture/rencontre avec l'auteur de La Confrérie des mutilés, Contagion et Inversion à la librairie Atout-Livre (203 Avenue Daumesnil 75012 paris) le vendredi 8 janvier à 19h30. On lira, en anglais et en français, on posera des questions qui donneront lieu à des réponses, puis on dansera la tarentelle, quelque chose dans ce genre-là. Venez très beaucoup.

jeudi 17 décembre 2009

Pas joli joli

Oubliez les lettres à un jeune poète, insuffisamment timbrées, d'un certain Rilke. Et lisez plutôt les "quelques conseils aux écrivains en herbe", disponibles sur le site officiel de Bernard Werber, auteur d'épopées hyménoptèriques et de de réflexions niou hedge. Des conseils, il en donne vingt-sept, même si on aurait bien aimé en lire vingt-huit, mais aujourd'hui (et sûrement demain) nous n'en retiendrons qu'un, le numéro 11, parce qu'il est révélateur d'un cynisme dont on n'ose imaginer l'équivalent en politique. Outre la haine de la forme, à laquelle on va finir par s'habituer, ce conseil prône un utilitarisme confondant, affiché sans complexe, et sous-tendu par une forme de joie, une joie née d'une réflexion simple: la langue ça fait chier quand même. Je n'ai rien contre Werber et ses fourmis ne me démangent guère. Je lui sais même gré d'assumer cette real-politik: au moins, c'est clair. Le problème c'est que je doute que les grands écrivains populaires comme Eugène Sue, Paul Féval etc. auraient eu l'aplomb (et le besoin) d'aller aussi loin dans le ressentiment déguisé envers la langue, le style, l'écriture. Donc, lisons en frémissant – fourmis dans les yeux… – ce onzième conseil, qu'on évitera de prendre pour un commandement:

"Beaucoup de romanciers surtout en France, font du joli pour le joli. Ils enfilent les phrases tarabiscotées avec des mots de vocabulaire qu'il faut chercher dans le dictionnaire comme on enfile des perles pour faire un collier. Cela fait juste un tas de jolis phrases. Pas un livre. Ils feraient mieux d'être poètes. Au moins c'est plus clair. Toute scène doit avoir une raison d'être autre que décorative. Le public n'a pas (n'a plus?) la patience de lire des descriptions de paysages de plusieurs pages ou il ne se passe rien, ni des dialogues sans informations qui n'en finissent pas. La forme ne peut pas être une finalité, la forme soutien le fond. Il faut d'abord avoir une bonne histoire ensuite à l'intérieur on peut aménager des zones décoratives, mais sans abuser de la patience du lecteur."

Voilà. Tout est dit. Ça se passe presque de commentaire. Pour écrire de bons livres, il faut anticiper la demande du lecteur, lecteur qui a bien changé et qu'on ne va pas emmerder avec de pénibles descriptions de pension Vauquer, soyons sérieux un instant. C'est au final assez neuh-neuh, plutôt inoffensif, globalement pathétique, et très… werberien. Et oui: nous ferions mieux d'être poètes. Quant à monsieur Bernard, qu'il évite effectivement les jolies phrases. Elles n'y gagneraient rien.

mercredi 16 décembre 2009

Choir, choir encore, choir mieux


En janvier, la rentrée littéraire (même si on aurait du mal à parler de sortie…) sera marquée par une dizaine de livres dont on se gardera bien de ne pas tomber amoureux (cette double négative est là pour renforcer l'aspect positif de l'espoir récompensé), dont le nouveau livre d'Eric Chevillard, Choir. Extrait:

"Une seule ambition pour les habitants de Choir,
notre seul projet, quitter Choir. C’est formulé ici avec
mesure, froidement, pour la chronique. En temps normal,
nous le hurlons.
BONDIR HORS DE CHOIR !
oh ! moi !
laisser Choir sous moi, déchet immonde de ma
décrépitude, de mon incontinence !
HORS DE CHOIR BONDIR ! ISSIR !
m’arracher à ses glus, à ses boues, élargir les huit
trous de mon corps afin que s’écoule au travers tout
le sable de Choir !
puis dans mon dos retombe !"

mardi 15 décembre 2009

Lisez Chauvin

Hier soir avait lieu la remise du prix Maurice-Edgar Coindreau, prix qui récompense le meilleur roman traduit de l'américain en français. La lauréat était cette année Serge Chauvin, pour deux ouvrages de Colson Whitehead, Le Colosse de New York et Apex, tous deux parus chez Gallimard, et c'est Marc Chénetier, le saint Jérôme des anglicistes, mon païen patron et malicieux mentor (et qui a récemment traduit pour Lot49 Sonate cartésienne de Gass) qui lui a remis le prix après avoir rappelé qui fut Coindreau, ce qu'est une bonne traduction (du plaisir) et évoqué la perspective d'un buffet dans la salle mitoyenne. Quelques traducteurs s'étaient déplacés pour entendre Serge Chauvin: Bernard Hoepffner, Michel Lederer, Jean-Pierre Richard, Mona de Pracontal…
Serge Chauvin, qui travaille pour Gallimard depuis maintenant un bail, et qui compte à son actif une belle pléiade d'auteurs (Paul West, Jonathan Coe, Zadie Smith, Stephen Wright, etc), est un traducteur particulièrement attaché au grain des phrases, à la rythmique, discret et lunaire, "remuant les lèvres comme s'il voulait se rendre compte du goût des mots" (j'emprunte l'image à Faukner…), doté d'un solide sens de l'humour (Chauvin a évoqué les "nouilleries" dont ne peut se passer tout traducteur), sans lequel traduire n'a guère d'intérêt, tant la symbiose passe, ainsi qu'il l'a rappelé, par la "volupté" – et qui dit volupté, dit rire, enfin je crois, j'espère.
Le prix Coindreau, qui plus est remis par "le capitaine" Chénetier, c'est un cadeau dont tout traducteur de l'américain ne peut que rêver, car loin d'être un ruban mou décerné par de mièvres manitous, c'est un passage de relais, le rappel d'une lutte menée de longue date pour faire entendre une autre voix américaine dans le panorama littéraire. Vous ne trinquez pas avec Faulkner, mais bon, ça fait entrer pas mal de noms en force et en résonance, entre bruit et fureur.

lundi 14 décembre 2009

Détectives sauvages et critiques domestiques

Comment devient-on Bolaño? Ou plutôt comment fabrique-t-on Bolaño? Non pas l'auteur des Détectives sauvages, mais son image, le culte de sa persona, entre Jim Morrison, Arthur Rimbaud, etc? Et surtout, comment l'importe-t-on. L'écrivain salvadorien Horacio Castellanos Moya, que publient en France Les Allusifs, se penche avec un certain agacement sur la fabrication du mythe Bolaño aux Etats-Unis, dans un texte intitulé Bolaño Inc., en ligne sur le site Guernica et tente de comprendre pourquoi la critique littéraire américaine avait besoin d'un digne successeur à Garcia Marquez.
Moya était l'ami de Bolaño, et son propos n'est pas de dépouiller l'écrivain défunt de sa gloire posthume, mais de dégager une certaine stratégie du marché:
The market has its landlords, like everything on this infected planet, and it’s the landlords of the market who decide the mambo that you dance, whether it’s selling cheap condoms or Latin American novels in the U.S.
Au passage, Moya cite un email que lui avait envoyé Bolaño, dans lequel ce dernier éreinte l'establishment littéraire latino-américain:
"the rancid private club full of cobwebs presided over by Vargas Llosa, García Márquez, Fuentes, and other pterodactyls.”
Balzac a dit que la gloire est le soleil des morts. Evitons-leur néanmoins les brûlures.

samedi 12 décembre 2009

Vollmann Yes, Vollmann Nô

Alors que trône encore sur la table de chevet le monumental Imperial de William T. Vollmann publié par Viking cet été, exploration méticuleuse, obstinée, polychromatique de la zone frontalière USA/Mexique, auquel il convient d'adjoindre le non moins splendide livre de photos au titre éponyme sur le même sujet, publié par powerHouse Books, voilà que se profile déjà un nouvel opus – le vingt et unième… – de cet écrivain américain dont aucun éditeur français ne voulait entendre parler au milieu des années 90, avant que Brice Matthieussent décroche son téléphone pour me dire que, oui, ça l'intéressait, et qu'il allait le publier chez Christian Bourgois. L'occasion d'un retour en arrière, donc, sur l'histoire d'une difficile implantation outre-atlantique…
A la fin des années 80, je tombe par hasard, dans une librairie londonienne, sur les Rainbow Stories de Vollmann, attiré par la résonance pynchonienne du titre. La fascination est immédiate et j'achète peu après son premier roman, encore inédit en français, You Bright and Risen Angels. Mais je n'ai alors traduit que deux romans – Kilomètre Zéro de Thomas Sanchez et Le Courtier en Tabac, de John Barth [qui ne paraîtra que dix ans plus tard, mais c'est une autre histoire…] – et ne sais trop comment m'y prendre pour imposer cet auteur. Lui-même est publié d'abord en Angleterre par Andre Deutsch, et il faudra la ténacité de l'éditeur américain Paul Slovak, pour que Viking porte à bout de presses son œuvre prolifique.
Commence alors une drôle de guerre. Je traduis des extraits, les envoie à divers éditeurs, prends des contacts – en vain. Un jour, par l'agent de Vollmann, Susan Golomb, j'apprends que Balland a acquis les droits de ces deux premiers titres. Je commence alors la traduction de You Bright pour Balland, mais trois mois plus tard Balland est contraint de mettre la clé sous la porte. D'autres projets m'accaparent, même si de temps en temps je tente de "fourguer la came Vollmann". Personne ne veut entendre parler de l'ami Bill, qui entre-temps écrit, écrit, écrit… Enfin, un jour, Brice Matthieussent m'appelle, suite au dossier que je lui ai envoyé sur Vollmann. Du temps a passé, du temps passe encore, et il faut attendre 1999 pour que paraissent chez Bourgois Des putes pour Gloria et Treize Récits & Treize Epitaphes. L'année d'après sera publié Les récits arc en ciel. Puis Bourgois connaît des difficulté financières et jette l'éponge en voyant arriver sur son bureau la pachydermique Famille Royale. Tout est à recommencer. Il faudra s'armer de patience, une fois de plus. C'est alors que je fais la connaissance, lors d'un débat sur la traduction avec l'incroyable André Marcowicz, de Marie-Catherine Vacher, éditrice chez Actes Sud. Elle me reçoit la semaine qui suit dans son bureau de la rue Séguier, m'écoute lui présenter plusieurs projets de traduction qui me tiennent à cœur (Vollmann, bien sûr, mais aussi Mulligan Stew et Le Tunnel, entre autres curiosités…) et me rappelle dix jours plus tard pour me dire que, oui, La Famille Royale, c'est un grand livre, on va le faire, on va enfin imposer Vollmann.
A dater de ce jour, l'ami Bill a trouvé sa place parmi ses contemporains traduits, il a remporté le prestigieux National Book Award (mais un seul prix littéraire en France à ce jour, pour Poor People) et d'autres éditeurs prêtent main-forte pour diffuser son œuvre (Tristram, Lot49), d'autres traducteurs s'y attellent vaillamment (Jean-Paul Mourlon, Bernard Hoepffner…).
(Je garde des souvenirs incroyables de chacune de mes rencontres avec Vollmann. La première fois, je lui avais offert un exemplaire des Chants de Maldoror, publié par Guy Levis Mano, et lui, en échange m'avait demandé si je voulais bien lire ses prochains textes. Et comment! Je revois encore Vollmann me tendre une enveloppe contenant… dix-sept disquettes. L'intégral de The Royal Family and de Rising Up and Rising Down! Deux imprimantes ont fini par y passer mais j'ai longtemps gardé ces incroyables manuscrits près de mon bureau. Autre souvenir: les mêmes flics nous arrêtant une deuxième fois près de Barbès alors que Vollmann essaie de convaincre un travelo de se laisser dessiner… Vollmann et moi aux objets trouvés dans l'espoir de remettre la main sur un cahier de dessins qu'il a perdu dans le métro après avoir fait un malaise… Vollmann en tee-shirt jaune canari lisant au Village Voice, à son retour de Sarajevo, ses bagages ayant été perdus par la compagnie de vol… La liste serait longue.)
Le 4 février, donc, on pourra découvrir chez Actes Sud un nouveau texte de Vollmann, Etoile de Paris, encore inédit aux Etats-Unis. En attendant la parution, donc donc donc, de son vingt et unième livre aux USA, le 6 avril 2010, chez l'éditeur Ecco (celui qui a déjà publié la version "light" de son livre sur la violence). Un essai de 528 pages intitulé Kissing the Mask: Beauty, Understatement and Femininity in Japanese Noh Theater, with Some Thoughts on Muses (Especially Helga Testorf), Transgender Women, Kabuki Goddesses, Porn Queens, Poets, Hou.
Avec Vollmann, on a toujours l'impression que l'aventure ne fait que commencer. Actes Sud a acquis les droits de Riding Toward Everywhere, son récit sur les hobos. Lot49 a encore quelques volumes des Seven Dreams dans sa ligne de mire. Il est question de publier un jour son premier roman, You Bright and Risen Angels. Une coédition Inculte/Lot49 pour un Face à Vollmann, comme nous avions fait Face à Pynchon, est en gestation.
William T. Vollmann n'en est apparemment qu'aux balbutiements de son œuvre – cinq livres l'occupent parallèlement en ce moment…

vendredi 11 décembre 2009

Translate this book

La revue en ligne américaine, The Quarterly Conversation, qui est l'équivalent de… du…, en fait, non, pas d'équivalent ici, bref, The QC a eu la bonne idée de demander à des traducteurs, des éditeurs, des agents et des auteurs quels livres leur paraissaient urgents à traduire en langue anglaise. Quand on sait que la part de traductions de livres étrangers dans le paysage littéraire étasunien est de 3%, on ne peut que dresser l'oreille et prendre des notes. La liste est longue et passionnante. On notera entre autres la recommandation de François Monti, membre du blog littéraire collectif le Fric Frac Club (ex-capitaine du passionnant litblog Tabula Rasa): Les Fragments de Lichtenberg, de Pierre Senges ; celle Juan Francisco Ferré concernant El Dorado, de l'espagnol Robert Juan-Cantavella; on y apprendra que Charlotte Mandell – traductrice des Bienveillantes et de Zone – plébiscite Les Ombres errantes, de Pascal Quignard; que Sal Robinson aimerait bien que Jean Rolin et sa durite franchissent l'Atlantique.
Exercice d'admiration autant que possible guide-line, le recueil de textes est consultable en ligne ou téléchargeable en format pdf. On pourrait imaginer qu'une revue littéraire française – ou plutôt, soyons sérieux: un site, un blog – s'adonne à ce jeu très sérieux, bien qu'on soit largement au-dessus des 3% en France.
La question sera toujours excitante: qui nous manque? quel livre manque à notre déluge de publications? Mais oui, il y aura toujours des livres qui manquent, des livres-haches pour briser la mer gelée, des livres qui nous aideront à oublier tous ceux qui ne nous manquent pas, loin de là, tous ceux qui manquent à eux-mêmes, qui montrent le nez parce qu'ils n'ont même pas de visage, et qu'on n'a même pas envie de moucher.

jeudi 10 décembre 2009

Match Box: BS Johnson pro defunctis


Combien de temps faudra-t-il encore pour qu'on lise ici B.S. Johnson à la mesure de ce qu'il est: un des rares écrivains anglais aux prises avec la forme romanesque (et la mort)? Grâce à Pascal Arnaud, des éditions Quidam, et Françoise Marel, la traductrice de BSJ, on peut voir se déplier, an après an, une œuvre où rivalisent audace, humour, spirale, plongée, boucle de pensées et d'expression. A l'instar d'une Christine Brooke Rose (elle aussi méconnue ici), celui que son récent biographe Jonathan Coe qualifie d'"éléphant fougueux", refuse l'escale réaliste telle qu'elle est alors codifiée et, nourri des expériences du Nouveau Roman, profondément marqué par Beckett, se livre à une série d'explorations (minées) d'un terrain encore neuf, sur lequel s'aventurent parallèlement des écrivains américains comme Barthelme ou Pynchon.
Alors ouvrons B.S. Johnson, ouvrons-le n'importe où, et nous aurons l'impression d'intense découverte qu'on a pu avoir en lisant pour la première fois, par exemple, Arno Schmidt. Ouvrons Chalut, paru en 1966 (traduit chez Quidam en 2007), croisière maudite dans des eaux qui sont peut-être celles de l'âme déchirée, et où la seconde guerre mondiale ne cesse de remonter à la surface, comme un leviathan têtu, venu cabosser l'onde de la narration. Ouvrons et lisons:
". J'éprouve sans doute, j'ai sans doute éprouvé, une certaine sympathie envers les poissons, comme envers toute forme de vie sur le point de subir ce qui semble être, en tout cas pour n'importe quel être humain, une mort douloureuse, venant mettre un terme à une souffrance qui n'est pas aussi brève qu'on le pense: mais une fois vidés, lavés, dégringolant et glissant, ils deviennent absurdes, ces poissons, n'éveillent plus la moindre pitié, ils ont même l'air plutôt ridicules sans leurs viscères, avec leurs flancs béants qui pendent désormais, flasques et inutiles, déjà nourriture et non plus poissons."
Voilà pour la prose de celui que certains qualifient de formaliste. Ouvrons ses autres livres traduits, ouvrons R.A.S Infirmière-Chef (une comédie gériatrique), ou Christie Malry règle ses comptes, ou Albert Angelo. Chaque fois, l'événement est traité dans la minutie de son explosion invisible, et la phrase s'invente des devenirs, des disparitions, des mutations. "La forme suit la fonction", ainsi qu'il l'écrit dans des notes pour l'écriture d'Albert Angelo.
On prêtera donc une attention accrue (ou nouvelle, selon) à la parution chez Quidam, il y a un peu moins d'un mois, de son roman Les Malchanceux, traduit magnifiquement une fois de plus par Françoise Marel, et qui est une traversée des ombres, une destruction théâtrale de la routine et de cet éternel et insupportable retour du même, rendu encore plus insupportable quand il est ponctué par la mort.
On pourrait dire qu'il s'agit des errances d'un chroniqueur sportif censé rendre compte d'un match de football – "Faut que j'aille au stade, incroyable comme mon esprit se laisse emporter." – , mais dont chaque pas foule une tombe fraîche comme le souvenir, celle et celui d'un ami emporté par le cancer, Tony:
"[June] m'avait appelé pour me dire que Tony était au plus bas, il avait besoin de sortir de lui, comme elle disait, je sais plus, je crois que c'est ce qu'elle a dit, une expression banale qui prend tout à coup un caractère philosophique"

On pourrait dire aussi que Les Malchanceux sont une boîte de Pandore, et que Pandore est le nom du déni craquelé. Le livre se présente en effet sous forme de cahiers agrafés, non paginés, enfermés dans un boîtier qui, une fois ouvert, nous offre, non sans ironie, son mode d'emploi:
Ce roman possède vingt-sept sections temporairement tenues ensemble par un bandeau amovible. Exception faite du premier et dernier "chapitres" (indiqués comme tels), les vingt-cinq autres peuvent être lus dans n'importe quel ordre. Si le lecteur préfère ne pas accepter l'ordre dans lequel il a reçu le roman, qu'il se sente libre de le réarranger, avant lecture, dans l'ordre que lui offrirait le hasard.

Mais le lecteur aura beau brasser les cartes des pages, il n'échappera pas, comme dans Finnegan's Wake, à l'inexorable morsure de la spirale, et il lui faudra passer de toutes façons par ces moments de tension, ces basculements, ces souffles cassées qui disent la vie de Tony, celle du narrateur, et peut-être aussi celle du lecteur. B.S. Johnson fait de son personnage un Ulysse vaincu et cependant témoin, témoin du réel en prise avec les ruines du temps, témoin de la douleur nichée dans le rire, passager de la ville toujours à réinventer dans sa géographie cannibale – "rien à voir avec un pèlerinage", est-il précisé à un moment.
Réalisé avec un soin admirable par l'éditeur Quidam, Les Malchanceux, "livre disloqué", roman de la perte mais aussi des retrouvailles, devrait, avec la parution prochaine, en janvier 2010, de la biographie consacrée à B.S. Johnson par Jonathan Coe (traduit par Vanessa Guignery), permettre d'embrasser encore plus pleinement cette œuvre insolente, désespérée, métamorphique, écrite par un homme qui, le 13 novembre 1973, sut mettre un point final à sa vie tout en colères et fulgurances.
______
Note: De Vanessa Guignery, la traductrice de sa biographie à paraître, on lira également avec profit: Ceci n'est pas une fiction. Les romans vrais de B. S. Johnson, Paris : Presses de l'Université Paris-Sorbonne, coll. "Britannia", 2009, 320 p.

Les Malchanceux
de B.S. Johnson
Préface de Jonathan Coe
Traduit de l'anglais par Françoise Marel

32 euros
ISBN : 978-2-915018-39-4

lundi 7 décembre 2009

Logomachine

Actuellement à l'écoute sur le site de France Culture (pendant encore quelques jours, je pense), un long poème définitif à deux voix, que j'ai écrit l'an dernier, encore inédit, intitulé Logomachine, mettant en scène deux instances, deux pulsions, le catégorique et le lyrisme, sous les incarnations instable d'un certain Tranché Vif et d'une incertaine Coulée Douce La réalisation a été confiée à Myron Meerson; les deux voix sont celles de Marie Bunel et de Félicien Juttner, très justes dans leur mouvements ondulatoires entre ironie et foi, fougue et sarcasme.


"C'est une histoire qui se refuse à elle-même, deux voix éprises du fardeau de l'irréconciliable. L'une a tranché dans le vif du réel et ne jure que par l'efficacité des mots, l'autre coule capricieusement dans le lit d'une langue émue. Ces deux voix ici se toisent, se défient, tentent le jeu ultime de la séduction, jusqu'à échanger leurs accents, leurs dangers. Un monstre froid, bien sûr, veille au grain de leurs voix."


Prise de son et mixage : Pierre Minne
Montage : Axel Brisard et Chloé Gambert
Assistante : Marie Dupuis