mercredi 20 juin 2007

Absolute beauty


"The small, vibratoless voices, wind in cottonwoods" (p. 203).
Cooper chante une chanson nostalgique et les gamins de l'école d'à côté, à l'ombre des peupliers, l'accompagnent de leurs timbres ténus. La phrase nominale, d'où tout verbe semble s'être absenté pour ne pas gêner le fragile plissé des syllabes, se déroule en trois temps, mais s'articule en deux, les "w" prenant le relais mouillé des "v", les "n" imposant leur sourdine aux sifflantes de "small" "less" et "voices", qui resurgissent in extremis dans le "s" final des arbres à peine agités. Moment d'épiphanie, assurément, où seul l'événement des notes importe, au-delà de la personnalité de Cooper (un badass motorisé rappelant le Brando de "L'Equipée sauvage"). Mais cette absence de vibrato conserve et son secret et sa magie. Voix célestes, voix d'anges, que rien ne vient fracturer? On songe au "sound of poplar trees" qu'évoque Woolf au tout début de "La promenade au phare": un son connu de tous, point trop surnaturel, donc. Pynchon met un article défini devant ces voix, mais pas devant le vent, brisant ainsi l'apposition pour suggérer une possible équivalence - à tout le moins une concordance. Des voies ténues, sans vibrato, le vent dans les peupliers? On sent bien qu'on rate, perd quelque chose. Les petites voix, sans vibrato, vent dans les peupliers. Techniquement on est raccord, mais la magie est encore loin. La sonorité fait défaut, qui pallierait la rupture syntaxique. Rechercher l'ondulation voulue. Le froissé. Tenter "simples" pour "small", au lieu de "petites" ou "ténues ? Des voix simples, sans vibrato (ouf, j'ai retrouve mes v, mes s…), mais ces peupliers ont perdu la texture nuageuse des cottonwoods. D'autant que ces fameux cottonwoods ne sont pas… des peupliers, enfin, pas des peupliers comme en a peint par exemple Monet (Les Quatre arbres). Le peuplier de Virginie, populus deltoides, est ce qu'on désigne au Québec, entre autres, par le vocable "liard". Mais ce "liard" fait-il mon affaire? Comment épouse-t-il mon "vent"? Dois-je préférer "brise"? La brise dans les liards? On dirait une contrepètrerie… Argh. Je pourrais utiliser "peupliers de Virginie", mais comme on a quitté l'Utah pour atterrir possiblement dans le Colorado, ma pauvre Virginie n'aurait pas l'air maline dans ce contexte. En fait, il convient de laisser se dérouler la suite du paragraphe, afin de s'imprégner de sa rythmique: on voit alors que Pynchon, comme Woolf, comme Faulkner, comme Monet, procède par touches légères. On note, surtout, qu'il parle immédiatement après d'un "windless sky" - il n'y donc aucun doute sur le sens de l'apposition qui nous turlupine. Ces voix rappellent le chant des peupliers, la musique des peupliers, le son des liards, ce que vous voudrez. On va donc s'y coller, ou laisser en l'état, comme de la mousse à la surface d'un liquide, en attendant que ça se lisse. Surtout, on va tendre l'oreille, écouter le bruit du vent dans les arbres, écouter les voix d'enfants dans les chorales, faire la chasse au vibrato. Puis, s'il ne pleut pas, on sortira du texte, tête nue.

2 commentaires:

  1. Au passage, pynch-linked:
    http://news.bbc.co.uk/2/hi/science/nature/6239334.stm

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  2. La plume du traducteur peut-elle glisser vers des trembles... Ou des peupliers faux-tremble, Canada oblige. Histoire de laisser entrevoir le faussaire et les trémolos.

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